Pendant la crise sanitaire, les affaires continuent

Banderole devant le Centre Hospitalier du Rouvray pour réclamer des masques pour se protéger du coronavirus

Par Jean-Louis

Paris, le 13 avril 2020

É. Macron l’a répété à l’envi le 16 mars : « nous sommes en guerre », contre le coronavirus, donc, si on a bien compris. Mais justement, la spécialité de ce genre de « dirigeant » au service exclusif du capital est de noyer le poisson. A-t-on bien compris ?

On se souvient de N. Sarkozy qui voulait « faire disparaître » les sans abris. Voulait-il leur fournir un logement ou bien faire en sorte que ses électeurs ne les voient plus ? On connaît la réponse.

Or, pendant la crise sanitaire, les affaires continuent. Le gouvernement refuse catégoriquement de définir quelles sont les activités essentielles devant être maintenues. S’il le faisait, il devrait imposer l’arrêt de toutes celles qui ne le sont pas ou, mieux, imposer la reconversion de certaines activités pour produire ce qui est nécessaire.

Les soignants, ceux qui produisent des médicament et produits de santé, ceux qui produisent, transforment, transportent et distribuent les produits de première nécessité, les agents de nettoyage, l’aide aux personnes vulnérables, l’enlèvement des ordures ménagères, la distribution d’eau, d’électricité, de gaz, la maintenance et le dépannage, la fourniture de services essentiels de communications.

Bien entendu, il lui faudrait mettre à disposition de celles et ceux qui travaillent dans ces secteurs essentiels tout ce qui est nécessaire à leur protection, à leur santé et à leur activité, c’est-à-dire prendre le contrôle de ces secteurs, les réquisitionner, les nationaliser même, s’appuyer sur les travailleurs pour contrôler la production, leur faire confiance car ils connaissent leur métier. Or, ça on l’a bien compris, le gouvernement n’envisage la nationalisation que comme temporaire et dans le seul but d’éviter la faillite d’une entreprise d’importance. C’est le cas évoqué d’Air France.

En définissant des « lignes », comme pour le front d’une armée, le gouvernement se débarrasse de ces contraintes et laisse le champ libre au marché, aux capitalistes.

Ainsi, la « troisième ligne » est celle d’un combat des capitalistes contre les travailleurs, c’est le royaume de la menace, de la contrainte, de la magouille. Dans ce domaine, on joue à fond des injonctions contradictoires du gouvernement : « allez travailler, restez confinés » injonctions qui sont devenues : « allez tous travailler, restez tous confinés ».

Chaque patron est libre de sommer ses employés d’aller travailler

Dès lors chaque patron est libre de sommer ses employés d’aller travailler, dans des activités que les capitalistes considèrent comme essentielles du point de vue de leurs profits.

Pour ceux qui ont cessé leur activité, comme pour ceux qui veulent la maintenir, il leur suffit de faire des déclarations sur l’honneur pour percevoir de l’argent public. Mais attention, le ministre de l’économie et des finances a bien prévenu, après la crise, il y aura des contrôles ! Ils n’ont donc rien à craindre car l’inspection du travail a été réduite à la portion congrue. Ils peuvent déclarer leur personnel en chômage technique et, pourquoi pas, le faire travailler quand même. Ils auront le beurre et l’argent du beurre.

Dans la mesure où ils bénéficieraient d’aides publiques, le ministre leur a juste demandé humblement et poliment de ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires.

De même, les banques et les assurances sont appelées à « participer à l’effort » et donc elles continuent leur œuvre au service du grand capital en profitant de la crise sanitaire pour préparer et organiser fusions et concentration. On ne s’étonnera pas dès lors que les petites entreprises, petits commerçants et artisans peinent tant à bénéficier, eux, de la manne que Bercy met à disposition des « entreprises » : 300 milliards de prêts garantis… à condition que les banques daignent prêter.

Là où il faudrait des mesures fortes, contraignantes vis-à-vis des capitalistes, la petite musique de la discussion et de la signature de protocoles de redémarrage d’activités, de guides de bonne conduite se déploie en volutes infinies dans les discours ministériels et préfectoraux.

La priorité du gouvernement est de faire en sorte que les capitalistes s’en sortent

La priorité du gouvernement est donc de faire en sorte que les capitalistes s’en sortent le mieux possible et même que ses contre-réformes reçoivent un coup d’accélérateur pendant que les travailleurs sont confinés à l’usine ou chez eux, que le parlement est sous anesthésie pour cause d’état d’urgence sanitaire et que les bureaucraties syndicales participent volontairement au « dialogue social » là où elles devraient appeler à la grève.

Les travailleurs de la « seconde ligne » du transport routier, des plateformes logistiques, de la grande distribution, sont concernés au premier plan, mais pas seulement eux. Bien qu’il soit difficile d’admettre qu’Amazon ou Fedex soient mises sur le même plan par le gouvernement qui se contente de rappels à l’ordre alors que leurs employés sont si mal traités.

Ainsi, on voit dans l’industrie, la métallurgie ou le BTP par exemple, des patrons qui ne veulent pas ou ne peuvent pas mettre en place des organisations respectant les normes sanitaires, font signer une décharge à leurs employés qu’ils mettent en danger. Le procédé est illégal ? Qu’importe, ce sera ça ou la porte.

On a vu la Poste, service essentiel, qui cherche pourtant à maintenir toutes ses activités, y compris la distribution de publicité et la vente par correspondance ou les transferts internationaux d’argent en relation avec son associé états-unien. Ceci, alors que depuis le début de l’épidémie, les syndicats dénoncent une véritable incurie qui met en danger ses employés, et les usagers à leur contact. Avec un recours massif à l’intérim ou à des filiales quand les agents exercent massivement leur droit de retrait…

La Poste qui vient de donner 300 mille masques au Ministère de l’intérieur, entreprise dont le syndicat Sud vient de révéler qu’elle disposait d’un stock de plus de 24 millions d’unités. Interrogée le 6  avril par les organisations syndicales, la DRH du groupe répond : « Nous n’avons pas intérêt à ce que cela se sache car si nous sortons le chiffre, nous risquons de nous faire réquisitionner ».

On a vu qu’un entrepôt frigorifique du marché international de Rungis (MIN) a été réquisitionné par le Préfet, entrepôt « mis à disposition à titre gracieux ». Selon LCI, la société de pompes funèbres à laquelle a été confié cet entrepôt y facturait la conservation des corps aux familles 250 euros la semaine dont « 150 euros de frais d’admission » et même 55 euros l’accès pour une heure à l’espace de recueillement… fleuri gracieusement pas les fleuristes du MIN ! Téméraire, le Ministre de l’intérieur, a demandé un contrôle…

On a vu le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) « Grand-Est » être renvoyé parce qu’il avait vendu la mèche sur l’après crise, en confirmant à la presse que le plan de restructuration de l’hôpital de Nancy serait bien mis en œuvre, soit la suppression de 598 emplois et 174 lits dans les six prochaines années ! Avant d’être démis, il se défendait devant France 3-Lorraine1 : « Ce n’est pas moi qui ai approuvé ce plan. C’est la ministre de l’époque, Agnès Buzyn et je rappelle qu’il a été approuvé localement. ».

Mis en demeure de s’expliquer, l’actuel ministre de la santé s’est prononcé pour la suspension de tous les plans de réorganisation en attendant « la grande consultation qui suivra » : la méthode Macron des « grand débats » face à la mobilisation des gilets jaunes nous sera donc resservie pour imposer la politique voulue par les capitalistes.

Ce gouvernement salit tout ce qu’il touche.

Pourtant, prenant au mot la rhétorique guerrière, tous les jours une multitude de « petites mains », de gens souvent modestes se démènent pour apporter un soutien tangible à des proches, à des soignants, à des voisins, multipliant les initiatives désintéressées quand le gouvernement entend bien faire à l’avenir de l’action caritative le pilier qui remplacerait la solidarité, la protection sociale, la sécurité sociale : ce gouvernement salit tout ce qu’il touche.

Aussi, dans un tel contexte, des boîtes privées connues en profitent pour faire de la propagande et tentent de « redorer leur blason ». Les cliniques privées, qui n’ont pas été réquisitionnées, sont présentées par la presse capitaliste comme des sauveurs de l’hôpital public. Pourtant P. Juvin, chef des urgences de l’hôpital parisien public Georges-Pompidou, a souligné sur France Inter que « sur le terrain, on perçoit souvent des réticences lorsqu’on propose des malades » aux cliniques privées (Huffpost du 26 mars 2020).

pénurie ou spéculation ?

D’autres boîtes se découvrent une mission philanthropique en se convertissant d’elles-mêmes à la fabrication de masques, de gel hydroalcoolique, de respirateurs qui, bien entendu, seront pour l’essentiel vendus de préférence au prix fort et, pourquoi pas, au marché noir.

Comment comprendre, sinon, alors que les masques chirurgicaux et « FFP2 » interdits à la vente en pharmacie – qui sont officiellement réquisitionnés et réservés à la « première ligne » et le cas échéant à la « seconde » – équipent autant de personnes pendant leur jogging « restreint » et leurs courses de « première nécessité » ? Il suffit de mettre les pieds dans un supermarché, muni de l’attestation obligatoire, pour voir un personnel parfois très démuni faire face à des clients masqués et gantés !

Peut-être avons-nous un début d’explication : dans une société qui a connu une explosion de la précarité, dont les auto-entrepreneurs sans garantie sociale d’aucune sorte, la tolérance d’un secteur informel qui permet d’ordinaire d’assurer la « paix sociale » dans les cités ne s’est-elle pas tout simplement accompagnée d’une reconversion ultra-rapide du dit secteur dans l’approvisionnement en masques et en gel ?

Et puis, comment admettre que chaque ARS, chaque région, parfois chaque département ou même chaque hôpital commande du matériel directement à des industriels ou des commerçants qui profitent de la pénurie pour faire monter les prix ? Comment l’admettre alors qu’une commande d’État à État permettrait de satisfaire les besoins au mieux ? Sans parler des détournements opérés, ici par des États, là par des organisations mafieuses, pour en réalité approvisionner le marché…

Pourquoi en irait-il autrement quand l’OMC insiste sur l’importance du bon fonctionnement du commerce mondial pour surmonter la crise et que l’OCDE – qui comme d’habitude prétend ne publier que des avis personnels d’experts ou « d’influenceurs » – nous explique dans une tribune du 7 avril 2020 que l’avenir c’est l’hospitalisation à domicile, la télémédecine, la généralisation du dossier médical électronique, etc., c’est-à-dire qu’elle confirme ses orientations antérieures ? Pourtant elle reconnaît que 17 % des habitants de ses 23 pays membres renoncent aux soins en raison de coûts trop élevés.

Quant à l’épisode de la crise économique qui s’était amorcée en décembre 2019, le covid-19 ne viendrait-il pas exonérer les capitalistes de leurs responsabilités ? Et puis, les centaines de milliards d’euros ou de dollars déversés par les banques centrales sur les « marchés financiers » se pareront désormais des vertus de la bonne cause : l’urgence sanitaire.

Les travailleurs n’ont pas dit leur dernier mot

En attendant, le retour en force de l’austérité renforcée pour payer la dette ? Les travailleurs n’ont pas dit leur dernier mot et dans cette dernière période ils ont beaucoup appris. (voir Partout dans le monde, les travailleurs en première ligne)

D’après un journal suisse, sa rhétorique guerrière fait courir à Macron « un risque pour ce libéral convaincu à la tête d’un État auquel les Français demandent tout et tout de suite : nationaliser in fine à tour de bras pour éviter le crash et sauver ce qui peut l’être du système dans une France « transformée » non par ses décisions, mais par un coronavirus en gilet jaune » (Le Temps, 2 avril 20202).


1 https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/plan-economies-hopital-nancy-directeur-ars-grand-est-persiste-signe-je-fais-mon-boulot-1811946.html

2 https://www.letemps.ch/opinions/covid19-un-coronavirus-francais-gilet-jaune