L’Irlande, pierre d’achoppement du brexit ?

Par Jean-Louis
Lors du référendum organisé en 2016 par D. Cameron et le parti conservateur sur le maintien ou non du Royaume-unis dans l’Union Européenne la majorité s’est exprimée en faveur du « leave », c’est-à-dire que 51,89 % ont voté pour quitter l’UE.
Cependant, en Écosse et en Irlande du Nord, « Ulster », la majorité s’est prononcée en faveur « remain », du maintien dans l’UE, respectivement par 62 et 55,8 %.
Or, le 10 avril 1998 la signature de « l’accord du vendredi saint » a mis fin à une période de guerre civile de 29 ans dans le nord de l’Irlande. Aux termes de cet accord, entre autres dispositions, une forme de libre circulation a été mise en place entre les deux parties de l’île, un statut personnel a été adopté permettant le choix individuel et la reconnaissance d’une double citoyenneté (irlandaise, britannique ou les deux), le renoncement de la part de la République d’Irlande à toute revendication territoriale sur l’Irlande du Nord.
Cet accord a été approuvé par 74 % en Irlande du Nord et 94 % en République d’Irlande. Cette dernière a donc modifié les articles 2 et 3 de sa constitution qui faisait référence jusqu’alors au territoire de toute l’île d’Irlande¹.
La mise en œuvre du « brexit » a pour conséquence que la frontière de l’UE et du Royaume-uni passerait par la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord ce qui menace deux des dispositions de l’accord de 1998 : le statut personnel et, surtout, la libre circulation entre les « deux » Irlande.
La libre circulation des personnes et celle des marchandises, car dans la négociation entre le gouvernement de T. May et la Commission européenne de J.-C. Junker il est bien question d’une frontière douanière. Aussi, l’Irlande semble bien être la pierre d’achoppement du « brexit »…
En conséquence, les nationalistes irlandais se sont saisis de cette question pour, au nom du maintien de l’Irlande du Nord dans l’UE, remettre sur la table la question de l’unification de l’Irlande. Rien de nouveau dans le procédé.
En effet, d’autres mouvements nationalistes bourgeois ou petits bourgeois du continent cherchent à prendre appui sur les « principes » de l’UE pour faire aboutir leurs revendications, se séparer de la nation opprimante en demandant à adhérer « directement » à l’Union européenne, le cadre qui organise l’oppression à l’échelle du continent.
Sauf que ces derniers ont approuvé l’accord de 1998 et l’ont appliqué « loyalement » ; sauf que ce revirement exigerait maintenant que la République d’Irlande revienne elle aussi sur l’accord de 1998 ?
Du point de vue des « torries », qui soutiennent T. May comme la corde soutient le pendu, l’urgence est d’assurer la défense absolue des intérêts supérieurs de la City : l’accès libre au marché unique européen leur est indispensable.
Dans ce sens, les plus farouches partisans du brexit parmi les torries, se sentant abandonnés par Trump – qui leur a fermé la porte d’un accord de libre échange, trop content d’affaiblir un impérialisme concurrent – se disent maintenant qu’un échec du brexit les arrangerait bien, à condition qu’ils n’aient pas à en endosser la responsabilité, d’où leur acharnement à imposer un brexit dur qui créerait une situation économique et politique propre à imposer l’annulation du référendum du 23 juin 2016.
C’est bien ce qu’escompte de son côté J.-C. Junker : l’échec du brexit ouvrirait la voie à un second référendum qui irait dans le sens voulu par les capitalistes, conformément à la tradition de l’UE qui veut qu’on revote jusqu’à ce qu’on soit d’accord. Les Irlandais en ont une longue expérience. Cela s’appelle « la démocratie libérale ».
Maintenant, le retour de la revendication d’unification de l’Irlande a pour conséquence que, pour de mauvaises raisons, le vote « remain » de l’Ulster, les Irlandais posent à nouveau cette exigence démocratique de revenir sur le coup de force britannique qui a posé les bases de la partition de l’Irlande par le Government of Ireland Act de 1920.
Or, il se trouve que depuis plusieurs décennies la République d’Irlande voit de développer lentement un mouvement qui pourrait bien déboucher sur une crise institutionnelle : le pouvoir de l’Église catholique y est de plus en plus contesté dans une période qui a vu les travailleurs très durement touchés par les conséquences de la phase de la crise capitaliste qui a éclaté en 2007.
Les mobilisations qui ont eu lieu autour des scandales de pédophilie dans l’Église ainsi que les mouvements de femmes pour arracher le droit à l’IVG, à 66 % des votants, tout concourt à cet affaiblissement.
Pourtant, quand on se penche sur la constitution irlandaise on y trouve 8 références à Dieu notamment dans le serment prononcé pour accéder à des hautes fonctions – Président, membre du Conseil d’État et magistrat, même si, officiellement depuis 1973, la relation privilégiée entre l’Église catholique et l’État a pris fin. Ce n’est pas une petite contradiction.
La situation politique de la République d’Irlande combinée aux effets du brexit pourrait bien voir surgir l’exigence d’une République d’Irlande unifiée et laïque ce qui serait un coup mortel pour la monarchie britannique ; tout comme la mise en œuvre concrète, pratique, déterminée de l’indépendance de la Catalogne signerait l’arrêt de mort de la monarchie héritière de Franco.
Du point de vue des marxistes révolutionnaires, cela peut ouvrir la voie à la Fédération socialiste des îles britanniques et à la Fédération socialiste ibérique, dans le cadre des États-Unis Socialistes d’Europe que nous appelons de notre combat.
Car dans le cadre du mode de production capitaliste qui est un cadre d’oppression absolue et sans limites, l’indépendance complète des nations opprimées n’est pas possible ; c’est pourquoi, sur cette question comme sur bien d’autres, nous luttons pour la fin du capitalisme et pour la propriété collective des moyens de production à l’échelle du monde, le socialisme, comme condition première d’un monde sans oppression, mille fois plus démocratique.
Le 26 janvier 2019
1. Une traduction de la constitution irlandaise est disponible ici: http://mjp.univ-perp.fr/constit/ie1937.htm