Un congrès sous tension ? Après le 52ème congrès de la CGT…

Paris, le 2 juillet 2019
Par Jean-Louis et Griselda
Le 52ème congrès de la CGT s’est réuni à Dijon du 14 au 17 mai. Il venait en pleine mobilisation des urgentistes, 6 mois après le début du mouvement des « gilets jaunes » et, surtout, après la loi El-Khomri et les « ordonnances Macron ».
Alors que le gouvernement Macron-Philippe-Castaner cherche à imposer rapidement l’agenda des capitalistes, attaques contre la sécurité sociale, la santé, les retraites, l’instruction publique, etc. on aurait été en droit d’attendre de la CGT un appel à la mobilisation générale pour faire échouer cette politique, pour en finir avec ce gouvernement. Qu’en a-t-il été ?
Un congrès verrouillé
Le 52ème congrès avait été précédé par plusieurs mois de non-débat. Ou plutôt le débat avait été organisé dans le plus pure style de la bureaucratie qui dirige la première confédération syndicale historique des travailleurs de ce pays.
Sur la forme, ô combien révélatrice du fond ! Un système de quota (femmes, jeunes, « primo-congressistes », etc.) sous prétexte de représenter la CGT dans « toute sa diversité » et d’en renouveler la représentation, a été une arme entre les mains de la bureaucratie pour sélectionner les congressistes.
Pour ne prendre que deux exemples, la candidature présentée par l’UD 76 et la délégation de la fédération du commerce et des services ont ainsi agité la période préparatoire au congrès.
Rompue désormais aux démarches procédurales dans le plus pur style de la CFDT et des DRH, la direction confédérale sortante avait « organisé la démocratie » dans le détail de telle sorte que tout soit conforme à ses vœux.
Ainsi, on ne parlerait pas de pénibilité et de conditions de travail, mais de « qualité de vie au travail ». On parlerait du travail dans toute sa diversité, mais pas de la place du travailleur dans le processus de production ; bref on parlerait de luttes mais pas de lutte des classes.
Aussi, le fond sentait, si l’on peut dire, le syndicalisme d’accompagnement, le « dialogue social » et le « syndicalisme rassemblé » : ça tombait bien sitôt clos le 52ème congrès de la CGT, allait s’ouvrir à Wien (Autriche) celui de la CES avec des invités de marque, entre autres J.‑Claude Junker, Président de la Commission européenne et Markus Beyrer, directeur général de Business Europe, le MEDEF européen. Dijon n’était donc qu’une mise-en-jambe pour la bureaucratie avant Wien ?
La rapport d’activité, « rédigé en novembre » (sic) n’abordait donc pas le mouvement des « gilets jaunes » et la crise qui a traversé la CGT à partir de là ; ou plutôt un énième rebondissement de la crise qui traverse la CGT depuis plusieurs décennies alors que ses effectifs ne sont que de 650 mille adhérents en 2017.
Un duel à fleuret moucheté
Peu importe, le secrétaire général sortant, candidat à un nouveau mandat, s’est lancé dans un discours d’ouverture destiné à clore tout débat en prétendant répondre par avance aux critiques, parfois virulentes, à l’encontre de l’action de la commission exécutive confédérale. Un coup de chapeau aux « gilets jaunes » pour ne pas avoir à rendre des comptes sur le blocage de l’appareil confédéral pendant près de 3 mois après le début de ce mouvement. Du grand art, il faut le reconnaître…
Le rapport d’activité a pourtant été adopté, mais par 60 % des votes, contre 25 % et 15 % d’abstention ce qui en fait le plus faible « score » pour un rapport d’activité à un congrès confédéral. Ceci démontre de toute façon un rejet de la direction confédérale par les syndiqués « de base » et de nombreux militants, y compris dans les « étages intermédiaires » de l’appareil.
Certes, P. Martinez a succédé à T. Lepaon dans les circonstances qu’on sait, cependant rien n’exonère le bureau confédéral, sortant de la CGT au 52ème congrès, quant à l’accélération de la dérive vers l’intégration aux institutions de l’État, vers le corporatisme. Ça, il ne pouvait pas y « répondre » par avance sans ouvrir une boîte de Pandore impossible à refermer.
Entendons-nous bien : l’indépendance syndicale par rapport à l’État et aux patrons est un principe intangible quelles-que soit les institutions en place ou le régime. L’argument « démocratoïde » selon lequel un syndicat ne saurait être un rouage de l’État en Corée-du-nord alors que ce serait parfaitement acceptable, voire louable, dans une soi-disant « démocratie » est inacceptable.
C’est pourtant, en substance, l’argument avancé par B. Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, aujourd’hui administrateur du Bureau international du travail (BIT), organisme de l’ONU, dans une polémique qui l’a opposé à J.‑P Page, responsable du département international de la CGT de 1991 à 2000.
Cette question cruciale aurait donc dûe être au centre des débats. Elle ne l’a été, en creux, qu’à travers une proposition d’affiliation à la FSM, présentée par ses promoteurs comme une alternative possible pour résister à la CSI et à la CES. La proposition a cependant été approuvée après des débats houleux et plusieurs votes !
La CGT renoue donc avec la FSM, sur la pointe des pieds, sans rompre le moins du monde avec la CSI et le CES. Tout le monde est sensé y trouver son compte.
On voit que le 52ème congrès de la CGT aurait pu aborder de front cette question, remettant en cause les deux axes de la bureaucratie : le « dialogue social » et le « syndicalisme rassemblé », c’est-à-dire l’alignement sur la CFDT, le glissement vers la collaboration de classe. Force est de constater que sur cette question la « majorité » et « l’opposition » se sont, dans les faits, partagé les rôles.
À droite toute ?
Une mauvaise nouvelle : le rapport d’orientation articulé en 5 « thèmes » avait ceci de particulier qu’il « intégrait » des « documents de référence », adoptés lors de congrès précédents, à propos desquels il était précisé qu’ils n’étaient pas amendables ! Un congrès ne peut donc aller que dans le sens des précédents ? Curieuse conception de la démocratie ouvrière !
Par contre, une annexe statutaire a fait l’objet d’un âpre débat : le rôle des comités régionaux. La formulation du document était tournée d’une telle façon qu’il semblait s’agir d’une « simple » évolution du rôle de ces comités, or il s’agissait en réalité de substituer ces comités aux traditionnelles UD.
La question des « moyens » des comités régionaux en termes de permanents et de finances n’était pas un petit problème dans une organisation syndicale bureaucratisée comme la CGT, mais il serait erroné d’en faire la seule raison de l’affrontement.
En effet, sans le dire, le texte transposait le « principe de subsidiarité »1 cher à l’Union européenne dans les statuts de la CGT, ce qui revenait à dessaisir les UD notamment, et, ce n’est pas rien, le comité régional aurait « organisé les coopérations avec les syndicats européens (…) » donc en pleine adéquation avec la politique européenne des régions ! Devant le tollé, la conclusion du débat et le vote ont donc été remis à plus tard.
Gageons que la nouvelle direction confédérale saura « organiser la démocratie » de telle façon que ce point ne fasse même pas débat ultérieurement car le document d’orientation, dont de nombreux militants disaient en coulisse qu’ils n’avaient pas eu le temps de le ré-écrire, le document d’orientation aura quand même été approuvé par une majorité plus forte que le rapport d’activité : 63 % pour, 28 % contre, 9 % d’abstentions. Un tour de force ! Or le « principe » du renforcement des comités régionaux y figure aux points 370 à 373 du thème 4…
Pourtant le document d’orientation adopté ne contient rien, ou des généralités, pour ne pas dire des banalités, sur les privatisations (SNCF, ADP etc.), les retraites ou la fonction publique, sur la sécurité sociale, la santé, l’éducation alors que c’est le centre de l’offensive gouvernementale aujourd’hui. Où sont les revendications claires, précises, chiffrées, étayées ? Dans les repères revendicatifs ? C’est une blague !
La jeunesse ? P. Martinez avait prévenu lors de son discours de déminage, seul les étudiants-salariés peuvent se syndiquer à la CGT, comme salariés. La direction confédérale préfère laisser les étudiants à l’UNEF et les lycéens à la FIDL, c’est ainsi qu’une motion favorable à la création d’une CGT « étudiants » a échoué de peu… quelques jours avant une scission d’un courant de l’UNEF représentant environ 25 % de l’ex-« syndicat » étudiant !
La CGT à la croisée des chemins
Alors que la nécessaire grève générale pour en finir avec la politique du gouvernement Macron-Philippe-Castaner, pour en finir avec ce gouvernement, est à l’ordre du jour, de plus en plus présente dans les slogans des manifestations, cette question a encore été éludée avec l’argument habituel : « il n’y a pas de bouton qui déclenche la grève générale ». Martinez s’est en outre défaussé sur les fédérations incapables selon lui de s’entendre sur un calendrier qui pourrait permettre le « tous ensemble » ! On croit rêver…
Pourtant un nombre de militants qui n’est pas négligeable a tenté de se faire entendre ces dernières années. Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui ? C’est un accord d’appareils entre le PS moribond, le PCF, LFI, le NPA et ses « anarcho-guévaristes », LO cette organisation « trotskiste » si respectueuse des appareils bureaucratiques, oui LO…, le POI(D), etc. qui fait tenir « la CGT » et qui permet à sa direction d’avancer toujours plus loin dans l’intégration aux rouages des institutions, de l’État, de l’entreprise.
Or, justement, pour sauver la CGT de l’intégration, pour l’extirper des mains de la bureaucratie, pour la rendre aux travailleurs en général, à ses syndiqués en particulier, justement il faut briser cet accord d’appareil, quitte à ce que cela ait des conséquences néfastes sur l’unité de façade qui prévaut au sortir de ce 52ème congrès.
La lutte des classes ne va pas s’arrêter, au contraire elle va continuer à s’aiguiser. La polarisation va se renforcer. À deux reprises déjà, le 9 octobre 2018 et le 1er mai 2019, l’appareil d’État s’en est pris violemment à la tête de cortège de la CGT lors de manifestations. Désormais les délais sont comptés. La rupture urgente avec les institutions, avec la CES et la CSI conditionne l’existence même de la CGT comme organisation de la classe ouvrière. Il faut faire des choix, fussent-ils « douloureux » !
1. C’est un principe tiré de la doctrine sociale de l’Église, repris par les institutions de l’UE « la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Ainsi, lorsque des situations excèdent les compétences d’une entité donnée responsable de l’action publique, cette compétence est transmise à l’entité d’un échelon hiérarchique supérieur et ainsi de suite. » (Wikipedia)