Quelques réflexions sur le mouvement social contre la réforme des retraites.

Interview de Griselda, syndicaliste à la CGT Educ’action 93
Internationaliste : Comment décrire la mobilisation contre la réforme des retraites ?
Griselda : Il s’agit d’une grève massive, fortement féminisée, très majoritairement non-syndiquée, en dehors des organisations politiques traditionnelles du mouvement ouvrier.
Nous rappelons, que la CGT revendique une première journée à 800 000 manifestants le 5 décembre, ce qui était plus élevé que les chiffres au plus fort de la mobilisation en décembre 95. Puis deux manifestations à 1,3 millions de personnes les 9 et 24 janvier, et un point culminant pour le 17 décembre à 1,8 millions de personnes.
Par ailleurs, les femmes ont été extrêmement présentes dans ce conflit. : à la RATP, dans la santé, l’éducation qui sont des secteurs extrêmement féminisés, et même dans les commerces, la culture ou encore chez les avocats… On a pu voir de nombreuses femmes prendre part activement à la grève et à l’organisation des piquets.
Cette mobilisation a été inédite car ce sont très majoritairement des salariés non-syndiqués qui ont animé les comités de grève et les assemblées générales. Il s’agissait souvent de leur première grève, et cette première expérience s’est faite en dehors de toute structure syndicale.
On a ainsi pu voir des centaines de milliers de personnes manifester devant les carrés de tête de l’intersyndicale. Ils brandissaient les banderoles qu’ils avaient réalisées avec leurs collègues pendant que les permanents syndicaux restaient derrière leurs camions et leurs ballons syndicaux.
Le prolétariat a remis au cœur de l’action révolutionnaire la grève : faire pression sur le patronat en paralysant l’économie. Le blocage de l’économie était non seulement nécessaire, mais également possible.
Internationaliste : Comment analyser la poussée vers la grève générale très forte dans ce mouvement ?

Griselda : Il faut dire que c’est une poussée qui existe en France, depuis la grève de 2016 contre la loi El Khomri. Depuis, la question de la grève générale surgit à chaque conflit social.
Or on assiste à une mondialisation des grèves générales en lien avec les processus révolutionnaires qui touchent tous les continents. Que ce soit la révolution algérienne, porto ricaine, chilienne ou Hong-Kongaise, la grève générale est à l’ordre du jour de tous les mouvements démocratiques dans le monde.
Le conflit s’est rapidement orienté vers une paralysie totale du pays et un processus de grève générale. C’est pour cette raison que les secteurs mobilisés ont exprimé dès le début, leur aspiration à l’unité de la classe ouvrière, autour du mot d’ordre de retrait de la réforme.
Or la grève générale pose surtout la question de l’alternative politique. Dans la mesure où les organisations réformistes et staliniennes ne veulent pas rompre avec le capitalisme, elles ont tout mis en œuvre pour saboter la grève des salariés, et fermer le processus d’unification des grèves qui s’est ouvert dès le 5 décembre.
Le prolétariat révolutionnaire, après avoir tiré une partie des leçons du mouvement des gilets jaunes, s’était préparé à un dur affrontement avec le patronat et l’appareil d’état. La répression féroce qui a eu lieu pendant les gilets jaunes s’est amplifiée sur les piquets de grève, dans les lycées, et dans les manifestations.
Mais le principal obstacle qu’a dû affronter le prolétariat fut celui des directions syndicales, et de la politique de collaboration de classe menée par les militants réformistes, staliniens et des soi-disant militants révolutionnaires de l’extrême gauche parisienne.
Internationaliste : Quelle fut la politique des appareils contre-révolutionnaires ?

Griselda : Les organisations réformistes et staliniennes qui dirigent les syndicats ont imposé un calendrier de journées d’action. Au lieu de se saisir de la grève massive à la RATP en septembre pour appeler tout de suite à la généralisation de la grève, les directions bureaucratiques ont préféré appeler au 5 décembre. Puis, l’intersyndicale bureaucratique CGT-FO-FSU-Solidaires n’a pas décrété la grève générale, alors que 1,8 millions de personnes manifestaient le 17 décembre.
Au lieu de cela une énième journée d’action était appelée au début du mois de janvier. D’un côté les fédérations diffusaient des tracts exigeant le retrait pur et simple de la réforme, de l’autre les secrétaires confédéraux poursuivaient les négociations avec le gouvernement sur le dos des salariés mobilisés.
Si la grève était massive dans les entreprises, les travailleurs n’ont pas pu prendre la direction de leur grève. Les militants politiques inféodés à la bureaucratie syndicale ont joué contre la démocratie ouvrière au sein du mouvement.
Ainsi, les cadres de mobilisation interprofessionnels auraient dû permettre aux grévistes combatifs et anti-bureaucratiques d’ancrer la grève sur leur lieu de travail, de l’étendre à d’autres secteurs professionnels et de centraliser le mouvement vers un comité national de grève. Au lieu de cela, ils sont devenus des caisses de résonance d’appareils politiques en crise.
À chaque fois que les salariés souhaitaient se recentrer sur leur grève, dans des assemblées générales sur leur lieu de travail, ils étaient aussitôt taxés de corporatisme ! À travers ces accusations malhonnêtes, les militants soi-disant radicaux et révolutionnaires se sont faits les meilleurs complices de la propagande médiatique du gouvernement.
C’est très grave car le corporatisme c’est l’association capital- travail, c’est la négation des antagonismes de classe entre le patronat et le salariat. Au contraire, vouloir mobiliser et organiser les salariés sur leur lieu de travail, au plus près de leurs préoccupations, c’est la lutte des classes.
Pour les militants des appareils PCF, LO, NPA, POI et POID, l’intersyndicale bureaucratique et les fédérations n’étaient jamais responsables. S’ils avaient le malheur de dénoncer les directions des centrales syndicales, on leur expliquait qu’ils se trompaient d’ennemis, et qu’ils faisaient le jeu du gouvernement en divisant !
Internationaliste : Quelles perspectives pouvons-nous envisager pour les luttes sociales à venir ?
Griselda : Alors que les travailleurs de la RATP étaient à la pointe de la lutte, il aurait fallu que les autres secteurs professionnels se mettent à leur niveau, au lieu de niveler le conflit vers le bas, vers les secteurs les plus arriérés.
Les centrales syndicales sont de plus en plus intégrées à l’appareil d’état et sont rejetées par les masses. Ce sont les organisations d’extrême-gauche, notamment issues du trotskysme NPA, LO, POI et POID qui, paradoxalement, leur donnent une crédibilité et une légitimité auprès des travailleurs.
Elles ont jeté tous les enseignements du marxisme révolutionnaire, et du syndicalisme ouvrier. Or notre rôle est de défendre l’indépendance de classe des organisations syndicales, indépendance vis-à-vis du patronat et de l’appareil d’état. Cela signifie le respect de la démocratie ouvrière dans les structures syndicales et dans les mobilisations.
Ce mouvement a montré – mais qui pouvait en douter ? – que les travailleurs étaient prêts à se mobiliser pour le retrait pur et simple de la contre-réforme sur les retraites, mais au-delà pour exiger la fin de cette politique et de ce gouvernement.
Les travailleurs en général, les femmes et les jeunes en particulier ont montré leur détermination. Des éléments d’auto-organisation comme des véritables comités de grève sont apparus pour la première fois depuis des décennies, posant l’exigence de leur généralisation et de leur centralisation.
Des militants syndicaux honnêtes se sont dégagés montrant qu’une alternative aux bureaucrates existe pour mener la bataille pour l’indépendance de classe. Ces militants ont montré leur capacité à dialoguer avec le mouvement des gilets jaunes et à jeter des ponts pour une lutte commune basée sur une nouvelle confiance.
Mais aussi, les masques ont commencé à tomber, celui des bureaucrates, mais aussi de l’extrême gauche parisienne. La défiance vis-à-vis du gouvernement s’est considérablement développée, un gouvernement capable de réprimer les infirmières au canon à eau et les pompiers au LBD40 !
Une première poussée révolutionnaire vient de se produire qui a posé les bases de la suivante qui pourrait bien survenir rapidement.