Brésil : La faillite du PT

Denis Valem (CST/PSOL-RJ), publié dans la revue internationale de l’UIT-QI, Correspondencia Internacional, n°38
Le vote en session plénière de la Chambre de Députés du processus d’« impeachment » (destitution et jugement politique) de la présidente Dilma Roussef est l’expression de la rupture, bien qu’absolument déformée, des masses avec le gouvernement fédéral brésilien et le PT (Parti des Travailleurs).
Cette faillite du PT n’est le fruit d’aucun coup d’état de la part de l’élite brésilienne contre ce qui serait un aspect progressiste du gouvernement. En réalité, le PT ne sert plus à la bourgeoisie pour contenir les luttes du mouvement de masses.
Il est nécessaire de tirer toutes les conclusions du fait que le PT est aujourd’hui hué dans les assemblées générales des métallurgistes de l’ABC pauliste – importante banlieue industrielle de São Paulo – et va finir hors du gouvernement à travers un processus conduit par le député Eduardo Cunha (PMDB – Parti du Mouvement Démocratique du Brésil, un des principaux partis bourgeois du pays), homme politique corrompu et largement rejeté par la population.
Cette faillite du PT n’est le fruit d’aucun coup d’état de l’élite brésilienne contre ce qui serait un aspect progressiste du gouvernement. Ni l’ancien président Lula ni Dilma n’ont annoncé des mesures qui s’opposent aux intérêts de la bourgeoisie, comme par exemple la suspension du paiement de la dette publique, la réforme agraire ou une autre mesure qui menace les profits des chefs d’entreprise. Ils n’ont pas non plus combattu la corruption, ni n’ont dénoncé ceux qui sont corrompus, bien au contraire.
La faillite du PT est essentiellement due à la stratégie de conciliation avec des secteurs de la bourgeoisie. Aujourd’hui, le PT est un parti de plus au service de l’ordre établi, il n’a plus rien à voir avec un parti de gauche. Cela fait presque 14 ans qu’il gouverne avec ce même congrès de partis bourgeois corrompus. Ce dernier a désormais décidé de rompre avec ce gouvernement en raison du naufrage évident du PT, parce qu’il ne lui est pas plus utile pour contenir les luttes du mouvement de masses.
De même, le rejet et la rupture des travailleurs avec le gouvernement du PT correspond au rejet de l’application de nombreuses mesures contre le peuple qui se traduisent par l’aggravation des conditions de vie des personnes, par l’augmentation du chômage et de la violence urbaine.
En 2003, Lula a appliqué la réforme de privatisation du système de retraite que Fernando Henrique Cardoso (FHC – PSDB – Parti Social Démocratique Brésilien, parti traditionnel de la bourgeoisie brésilienne), quand il était président avait essayé de mettre en œuvre sans y parvenir.
Les dénommés « députés radicaux » (Babá, Luciana Genro, Heloísa Helena et João Fontes) ont été expulsés du PT parce qu’ils ont voté contre cette réforme. En conséquence, en 2005, Lula a acheté un soutien parmi des parlementaires à travers le versement d’une somme mensuelle pour faire approuver cette réforme des retraites. Ce système de corruption des parlementaires a été connue sous le nom de « mensalão ».
Le PT a privatisé des aéroports, des routes et a livré les réserves de pétrole off-shore situées dans les eaux territoriales brésiliennes. Il a récemment flexibilisé les indemnités chômage ; il a annoncé une nouvelle réforme des retraites ; il est en train de privatiser les hôpitaux universitaires ; et année après année il a coupé dans les budgets de la santé et de l’éducation. C’est pourquoi, la thèse de « coup d’état », créée par le PT lui-même et qui crée la confusion parmi certains militants et organisations, n’a aucun sens.
Le processus de l’« impeachment » est strictement effectué dans le cadre du régime constitutionnel bourgeois et les parlementaires qui jugent désormais Dilma sont les mêmes que ceux qui ont soutenu le PT tout au long de ces années.
Sur quelle base le PT s’est-il appuyé pour gouverner ?
Depuis 2010, le PT gouverne avec le vice-président Michel Temer (PMDB), dans le cadre d’une coalition avec pratiquement tous les partis bourgeois de droite, dont beaucoup « louent » simplement leur sigle au plus offrant. En outre, il y a aussi l’immanquable PCdoB (Parti Communiste du Brésil), anciennement communiste, anciennement pro-albanais, qui a le « mérite » d’être dans tous les gouvernements. Ceux qui sont restés en dehors du gouvernement, sont le PSDB de l’ancien président FHC et le parti situé plus à droite DEM, qui a peu de poids.
La base des parlementaires qui a soutenu le gouvernement de Dilma au congrès depuis janvier 2014 jusqu’à il y a quelques temps était composée de 304 députés (59% du total) et 47 sénateurs (72% du total).
Cette base dans le congrès a été celle qui a approuvé – avec l’appui du PT – la Loi Antiterroriste, qui constitue une atteinte aux libertés démocratiques. Ce sera aussi la même base parlementaire qui va apprécier le Projet de Loi de la Chambre (PLC) 257/2016, dont l’auteur est le gouvernement de Dilma, qui prévoit le gel des salaires, l’augmentation des cotisations retraites pour les fonctionnaires provinciaux ainsi que le licenciement des employés fédéraux.
De même, Michel Temer, alors qu’il est accusé d’être le grand organisateur du prétendu « coup d’état », est le vice-président de Dilma depuis l’élection de 2010. Au moment où la crise s’aggravait, il a été au centre de la politique du gouvernement pour faire approuver un paquet de mesures d’ajustement fiscal, en négociant des postes au nom du gouvernement.
Au milieu du processus d’« impeachment », alors que le gouvernement faisait de l’agitation « à gauche » contre le coup d’état, il offrait en même temps, au congrès, des postes et des ministères aux « putschistes ».
Pour interférer dans la décision du Sénat, Dilma et le PT ont suivi la même stratégie : acheter des parlementaires par le biais de postes, de ministères et de promesses. Rien de différent de ce que faisait Michel Temer.
Pour les travailleurs, il n’y a aucun changement favorable. Dilma et le PT continuent à gouverner et il n’y a absolument aucun geste qui insinue des modifications au niveau de la politique économique. Temer a déjà invité Henrique Meireles – ex-chef de la Banque Centrale pendant le gouvernement Lula et ex-exécutif de la Bank of Boston – pour présider la Banque Centrale. Temer a ainsi montré clairement qu’il n’opérerait pas de changements s’il devenait chef du gouvernement.
C’est pourquoi il est important de tous les rejeter : Dilma, Temer, Cunha, Aécio Neves (PSDB) et Renán Calheiros (PMDB). Qu’ils s’en aillent tous ! Les travailleurs savent qu’il n’y aura aucun changement avec aucun d’entre eux.
Construire une alternative de gauche
La population n’est pas apathique à attendre que quelque chose arrive. Des millions de personnes sont descendues dans les rues pour soutenir l’« impeachment ». Le bloc de la vieille droite, dirigé par le PSDB, essaye de canaliser l’indignation comme s’il ne défendait pas la même politique d’attaques contre les travailleurs, de destruction des services publics et de corruption.
Par ailleurs, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues, répondant aux appels lancés par le PT, le MTST (Mouvement de Travailleurs Sans Toit), des secteurs du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), et ont entraîné, outre les appareils traditionnels du PT et de la CUT (Centrale Unique des Travailleurs – plus grand syndicat du pays), divers secteurs gagnés par la confusion provoquée par l’agitation autour du « coup d’état ».
Il est nécessaire de construire un bloc qui ne soit ni avec le gouvernement ni avec la fausse opposition. Ce bloc doit lutter pour le renforcement des grèves, des mobilisations et coordonner les luttes contre le projet d’ajustement fiscal. La proposition d’élections générales comme issue de la crise nous paraît erronée, car les élections expriment la réalité de manière déformée.
C’est un jeu antidémocratique que gagne celui qui a le plus d’argent. Il n’est pas vrai non plus que les urnes légitiment et expriment la volonté populaire. Lors des dernières élections, ce qui a primé c’est le vote pour le moins mauvais ou le vote sanction pour rejeter certains hommes politiques.
Pour mettre en échec l’ajustement et obtenir un changement fondamental, une mobilisation supérieure à celle qui a eu lieu en juin 2013 est nécessaire. Si cette rébellion se réalisait, quel sens aurait alors le fait d’exiger seulement la tenue d’élections ?
L’issue c’est de parier sur les luttes et les grèves qui se déroulent actuellement, en les soutenant et en leur apportant la solidarité, de manière unitaire, et non de nourrir de faux espoirs selon lesquels des changements pourraient avoir lieu à travers le vote.
C’est sur ce terrain que se situent les possibilités de construire une alternative de pouvoir. Sur ce terrain, nous défendrons la nécessité de construire un gouvernement de gauche, des travailleurs et du peuple, pour que les travailleurs puissent décider directement les orientations du gouvernement, qui seront au service de l’amélioration des conditions de vie du peuple travailleur et de la jeunesse.
Un tel gouvernement se battra pour la suspension du paiement de la dette et allouera davantage de ressources pour la santé, l’éducation et les transports publics ; il se battra pour revenir sur la destruction des services publics et valoriser ses employés ; il sera pour effectuer un plan de travaux publics à travers la construction de logements populaires ; il sera pour arrêter les licenciements, pour l’augmentation des salaires, et pour garantir des emplois stables.
Il sera pour punir les corrompus et nationaliser les entreprises concernées par l’opération Lava-Jato (Opération de grande ampleur de lutte contre la corruption menée au Brésil). Il sera pour renationaliser Petrobras à 100 %, sous le contrôle des travailleurs.