Kanaky : un référendum ou une escroquerie ?

Par Jean-Louis et Griselda
« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », telle sera la question posée aux électeurs de Nouvelle-Calédonie le 4 novembre 2018.
Le référendum est organisé par les institutions locales mises en place suite aux accords de Matignon de 1988 (M. Rocard) et ceux de Nouméa de 1998 (L. Jospin), approuvés à près de 52 % des inscrits par un vote le 8 novembre de la même année.
Cependant, la « souveraineté française » sur la Kanaky repose sur une spoliation, une prise de possession par la force et l’intimidation orchestrée par le régime de Napoléon III. Cet archipel fait donc partie des dernières colonies de l’impérialisme français et, à ce titre, il est pleinement fondé à recouvrer son indépendance, pleine et entière.
Indépendance pleine et entière, si tant est que l’indépendance complète soit possible dans le cadre du mode de production capitaliste à son stade impérialiste qui se caractérise comme un système d’oppression et d’exploitation dominé par le capital financier qui règne sur la planète.
Car lorsque se présente, pour les communistes révolutionnaires, la nécessité de se prononcer sur la question nationale, c’est-à-dire sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, ceux-ci ne doivent pas perdre de vue cet obstacle majeur que constitue le capitalisme au stade de « la réaction sur toute la ligne », pour reprendre la formulation de Lénine.
La question que nous nous posons revêt toutefois un aspect « démocratique », à savoir qui doit décider et comment ? C’est là que nous divergeons d’avec la bourgeoisie, cela va sans dire, notablement l’appareil d’État de l’impérialisme français et son émanation institutionnelle, le « gouvernement » de Nouvelle-Calédonie.
Nous divergeons également d’avec les secteurs petits-bourgeois pour lesquels cette question se résume au vote, favorable dans tous les cas, en faveur de l’autonomie, l’autonomie culturelle surtout, en faveur de l’indépendance parfois, que ces secteurs confondent souvent avec l’autodétermination.
L’autodétermination consiste en la liberté de se déterminer, ce qui n’implique pas « automatiquement » de se déterminer pour l’indépendance. Mais c’est le premier pas, la première liberté. L’autodétermination d’un peuple ou d’une nation doit avoir pour conséquence la mise en œuvre de la décision, y compris la séparation.
C’est exactement ce qui s’est passé récemment en Catalogne : les Catalans ont posé le cadre de la décision qui les concernent. Le vote, dans ce cadre, a débouché sur une décision : l’indépendance.
Le gouvernement M. Rajoy, représentant de la monarchie franquiste, s’est opposé au cadre de la décision, tentant d’empêcher, le vote en cherchant à le soumettre à la « constitution » de l’État espagnol, qui est le résultat d’un accord entre le monarque désigné comme son successeur par Franco d’une part, la social-démocratie (le PSOE, parti socialiste ouvrier espagnol de F. González) et l’appareil stalinien (le PCE parti communiste d’Espagne de S. Carrillo) : le pacte de la Moncloa, conclu en 1978.
Les Catalans sont passés outre, ils ont eu raison, car à eux seuls appartenaient le choix du cadre et la décision finale. Ils se sont déterminés et ils ont voté en faveur de l’indépendance, dans le cadre qu’ils avaient décidé eux-mêmes.
En conséquence de quoi, les communistes révolutionnaires doivent appuyer leur choix, même si, parce que justement ils sont des marxistes, ils doivent rappeler aux Catalans, et surtout aux prolétaires catalans, que l’indépendance complète n’est possible que sur la base d’un renversement du capitalisme impérialiste.
Nous avons interrogé les Ivoiriens il y a quelques années : le cheval veut-il seulement changer de cavalier ou veut-il se débarrasser de tout cavalier ?
Pour le dire autrement, le chemin de l’indépendance catalane ne peut pas passer par la recherche d’un accord avec l’UE ou avec un puissant parrain qui ferait contrepoids à l’État espagnol car cela aboutirait peut-être à l’indépendance, mais cette indépendance serait le nom d’une nouvelle soumission. C’est la voie empruntée par les partis bourgeois et petits-bourgeois de Catalogne.
Pour la Kanaky, la question se pose, sinon exactement dans les mêmes termes, tout au moins sur la base des mêmes principes : lors du référendum du 6 novembre 1988, il était demandé : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ? ». Projet soumis « au peuple français », pas aux Kanaks…
Les militants qui constituent aujourd’hui le MCI avaient été de l’avis qu’il appartenait aux seuls Kanaks de décider de leur avenir et avaient appelé à l’abstention dans un référendum où, donc, la totalité du corps électoral était appelé à se prononcer.
Les travailleurs de ce pays avaient bien « senti » que « quelque chose n’allait pas » dans ce référendum. L’abstention s’était donc élevée à 37 %, les votes blancs et nuls atteignant 12 %.
Aujourd’hui, 30 ans après la signature des accords de Matignon, l’impérialisme français s’est évertué à « faire du Blanc » selon l’expression (et la doctrine) de P. Messmer, administrateur colonial puis ministre du général de Gaulle. C’est-à-dire qu’il a travaillé à faire en sorte, à s’assurer, que les Kanaks soient en minorité au moment de se prononcer, sur la base d’un corps électoral taillé sur mesure pour assurer la victoire du « non » à l’indépendance qui plus est dans un cadre mis en place par le gouvernement français et son excroissance locale le gouvernement « autonome » de Nouvelle-Calédonie.
En conséquence, les communistes révolutionnaires doivent-ils appeler au « non » à ce « référendum » ? Certainement pas : la Kanaky est une colonie de l’impérialisme français. Nous ne saurions nous opposer à son indépendance, si telle était la décision des Kanaks dans un cadre défini par eux-seuls.
Devons-nous appeler au « oui », alors ? Cela revient à demander : devons nous nous prononcer à la place des Kanaks, dans un cadre frauduleux défini par la puissance coloniale et ses porte-paroles locaux ? Allons plus loin : devons-nous « conseiller » aux Kanaks et aux travailleurs de Kanaky un vote favorable à la question posée sachant que le cadre a été imposé aux Kanaks et qu’il est aussi frauduleux que la « prise de possession » de 1853.
Certains secteurs petits bourgeois ne se posent pas cette simple question et se jettent avec enthousiasme dans une campagne pour le « oui », c’est-à-dire qu’ils cautionnent sur le fond la politique de l’État colonial.
Car, non seulement le pouvoir colonial pourrait, dès maintenant, donner son indépendance à la Kanaky, ce qu’il ne fait pas, mais en plus il organise une sorte de légitimation rétroactive de 1853 en demandant le « consentement » de tous les habitants de l’archipel et donc l’imposant aux Kanaks !
Le seul « conseil » que nous puissions donner, comme communistes révolutionnaires, aux Kanaks et aux travailleurs de Kanaky, le seul mot d’ordre que nous puissions mettre en avant est la non-participation à ce référendum et, s’ils le décident, la mise en place d’un vote d’autodétermination dont ils auront décidé seuls des modalités.
La non-participation est la position prise par le XVIe congrès de l’Union syndicale des travailleurs kanaks exploités (USTKE) par 130 voix, 12 pour l’abstention et 4 pour la participation. C’est également la position de l’émanation politique de l’USTKE, le Parti travailliste de Kanaky.