Il y a quatre-vingts ans : Léon Trotski

fresque de D.Rivera

Par J.Louis, Le 22 août 2020

Il y a quatre-vingts ans, le 20 août 1940, exilé à Mexico, Léon Trotski tombe sous les coups d’un assassin agissant sur ordre de Staline.

Le geste de l’assassin n’est pas seulement un acte moralement abjecte, il s’insère dans une bataille menée par la bureaucratie stalinienne pour tenter de rompre le fil de la continuité révolutionnaire qui s’était affirmée depuis la publication du Manifeste du Parti communiste en 1847 et passe par la fondation de la IVe Internationale en 1938.

Tout comme les procès de Moscou et les purges opérées dans l’Armée rouge, les militants visés sont avant tout des cadres dont l’expérience et l’autorité se sont forgées dans le cours de la révolution d’Octobre.

Car Staline est à la tête d’une caste bureaucratique qui s’est hissée au pouvoir en s’appuyant sur l’affaiblissement du prolétariat consécutif à la guerre civile déclenchée par les contre-révolutionnaires appuyés sur l’intervention des armées de 23 pays pour ramener la Russie sous le joug tsariste.

La principale conquête d’Octobre, l’État ouvrier, a été maintenue, mais à un prix exorbitant pour un pays à peine sorti de la féodalité lorsqu’a débuté la Première guerre mondiale.

Les spécialistes, les techniciens, les organisateurs qui pour un bon nombre avaient été formés sous l’Ancien régime ont alors pu affermir leur pouvoir, en affaiblissant les soviets, ouvrant grandes les portes du PCUS aux opportunistes. Une bureaucratie thermidorienne1 se constitue qui va porter Staline à sa tête.

C’est, en 1924, la fameuse « promotion Lénine » de 200 000 nouvelles recrues sans formation ni passé politique organisée par Staline pour se constituer une « base sociale » soumise, accédant aux postes de responsabilité et aux privilèges.

Ces éléments vont appuyer Staline dans la mise en œuvre de sa doctrine du « socialisme dans un seul pays ». Une contradiction dans les termes, le socialisme ne pouvant se concevoir qu’à l’échelle du monde.

Mais une contradiction qui permet de théoriser l’isolement de l’URSS et d’en faire la « justification » à la transformation de l’Internationale communiste (IC), la IIIe Internationale, en un outil docile de la diplomatie du Kremlin, IC qui avait été fondée en 1919, suite à la trahison de la social-démocratie, comme l’instrument de la révolution mondiale.

Cette politique mènera aux pires délires gauchistes (le social-fascisme) ou aux pires alliances opportunistes intégrant toujours des secteurs représentatifs de la bourgeoisie (les fronts populaires) avec comme conséquences la trahison des révolutions chinoise, allemande et espagnole et la signature du pacte germano-soviétique qui a achevé de démoraliser une génération entière de militants.

Cependant, en 1936, dans la Révolution trahie, Trotski avait établi un prognostique historique basé sur son analyse de la nature petite-bourgeoise de la caste bureaucratique représentée par Staline. Un régime instable dominé par une sorte de Bonaparte arbitrant les conflits entre les différents secteurs, un régime condamné à disparaître.

Il pose ainsi une alternative : soit il est possible de constituer un parti suffisamment puissant pour mettre de larges masses en mouvement et renverser la bureaucratie, alors il sera possible de régénérer l’État ouvrier et faire repartir la révolution mondiale de l’avant. Cela peut aussi être la conséquence d’une révolution prolétarienne victorieuse ailleurs dans le monde. Ce serait une révolution politique en URSS. C’est ce à quoi Trotski, l’opposition de gauche puis la IVe Internationale travaillent.

Soit un secteur de la bureaucratie restaurera le capitalisme en se transformant en une nouvelle bourgeoisie, par exemple en imposant la possibilité d’hériter pour ses rejetons. Le rétablissement du capitalisme en URSS pourrait aussi être la conséquence d’une intervention étrangère, impérialiste, rétablissement qui s’opérerait en relation avec le secteur de la bureaucratie le plus avide de se transformer en une nouvelle bourgeoisie. Ce serait une contre-révolution politique et sociale.

On voit bien que l’opposition entre Staline et Trotski ne peut pas se réduire à « une question de personnes » : elle repose bien une conception radicalement différente du monde et de l’avenir de l’humanité, liée à la lutte des classes. Révolution ou contre-révolution, telle est en définitive l’alternative.

Les procès de Moscou organisés par Staline de 1936 à 1938 prenant prétexte de l’assassinat de Kirov, en 1934, visent à s’assurer que personne parmi les révolutionnaires de 1917 ne serait en mesure de se mettre en travers de sa route. Mais au-delà des procès de Moscou, les assassins de Staline poursuivent tous les militants qui osent s’opposer à lui.

la quatrième Internationale est fondée en septembre 1938 et proclame dans son programme L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale ou Programme de transition : « La IVe Internationale jouit dès maintenant de la haine méritée des staliniens, des sociaux-démocrates, des libéraux bourgeois et des fascistes. Elle n’a ni ne peut avoir place dans aucun des Fronts populaires. Elle s’oppose irréductiblement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie. Sa tâche, c’est de renverser la domination du capital. Son but, c’est le socialisme. Sa méthode, c’est la révolution prolétarienne. ».

En 1943, alors qu’il devient évident que la Seconde guerre mondiale peut déboucher sur une crise révolutionnaire encore plus gigantesque que celle qu’a provoqué la Première, Staline dissout la IIIe Internationale, l’internationale « communiste » pour se conformer aux attentes de Roosevelt et de Churchill.


1 L’analogie avec le thermidor de la révolution bourgeoise en France se base sur l’élément suivant : la contre-révolution avance sous le couvert du coup d’État du 9 thermidor an II, le renversement de Robespierre, mais ne peut rétablir l’Ancien régime. De son côté, Staline s’appuie dans sa prise du pouvoir tous les éléments arriérés, sans toutefois pouvoir revenir sur la révolution d’Octobre. Selon la définition de Trotski, l’URSS devient un État ouvrier bureaucratiquement dégénéré.