Revue de Presse Sociale – Juin 2018
«La lutte de classe est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu» K. Marx
À la fin du mois de juin, de nombreux éditorialistes des médias aux ordres des capitalistes se réjouissaient de pouvoir constater que 50 ans après mai 68, il n’y avait pas eu de « mai 2018 ». Ce qui leur faisait le plus peur c’était la réalisation de la jonction entre les différents secteurs des travailleurs en lutte et entre ces derniers et les étudiants. Certains diront qu’il n’y a effectivement pas eu 10 millions de grévistes comme en 68.
Répondons-leur que les comparaisons historiques formelles ne permettent jamais de prédire l’avenir. Car en réalité un fait demeure : le climat social et le niveau de tensions entre les classes reste extrêmement tendu et continue de se tendre. Au cours du printemps 2018, des mouvements de grande ampleur se sont déroulés à la base : à la SNCF, chez Enedis (ex-ERDF) et GRDF, à Air France, à la Poste, dans la santé, sans oublier les nombreuses grèves dans le privé (commerce, industrie en particulier) et la mobilisation étudiante.
Les grèves les plus notables ont eu lieu dans le secteur de la santé, dans des entreprises publiques, ou dans d’anciennes entreprises publiques privatisées. Dans tous ces mouvements sociaux on remarque l’unité des revendications à la base : retour au monopole public sur le secteur, défense du statut, augmentation des salaires, embauches. C’est-à-dire que ces mobilisations se font en opposition frontale avec la politique gouvernementale, et avec les politiques menées par les gouvernements successifs depuis plus de 30 ans dans le cadre des traités européens.
En mai 2018, Emmanuel Macron ne s’est peut-être pas enfui à Baden Baden, comme l’avait fait De Gaulle à la fin du mois de mai 1968, mais un an après le hold up électoral du président actuel et de sa bande, le pouvoir gouvernemental est de plus en plus érodé.
Si le déferlement des masses n’a pas eu lieu, c’est avant tout de la responsabilité de la gauche institutionnelle et des directions syndicales : la direction confédérale de la CGT a appelé à la « convergence des luttes » par en haut, mais dans le même temps elle a tout fait pour empêcher l’unification des mobilisations, la réalisation du « tous ensemble ».
Les modalités de la grève de la SNCF visaient à épuiser les cheminots, les électriciens et les gaziers ont été laissés à leur sort malgré leur forte mobilisation, de même que les travailleurs d’Air France. Les agents des hôpitaux ont dû mener des luttes isolées, de mêmes que ceux de la Poste. Un cordon sanitaire a été dressé entre ces différentes catégories et les fonctionnaires pour qu’il n’y ait pas de jonction.
Une preuve supplémentaire de cette connivence entre les directions syndicales et le pouvoir ? A l’heure où sont écrites ces lignes, les directions de l’ensemble des organisations syndicales se réunissent avec les organisations patronales pour « peser » sur les choix du gouvernement ! Les travailleurs et les patrons auraient des intérêts communs ? Ceux de défendre le « dialogue social » ?
C’est précisément cette conception des choses, c’est-à-dire l’association capital-travail, défendue par la CES à l’échelle européenne et en particulier par la CFDT en France, qui est responsable de tant de reculs sociaux depuis plus de trente ans. Il est temps de réaffirmer dans les paroles et dans les actes la nécessité de la construction d’un syndicalisme de lutte des classes, strictement indépendant de l’État et du patronat. C’est la seule voie pour défendre réellement les intérêts des travailleurs.
La combativité montrée par de larges secteurs des travailleurs et de la jeunesse au cours des derniers mois constitue une solide base en ce sens. Rien est réglé, le gros de l’affrontement est à venir.
Ce sont les travailleurs de la SNCF qui ont été le plus en pointe de la profonde mobilisation sociale du printemps 2018. Face à une attaque sans précédent de la part du gouvernement, ils ont répondu en masse. Au 1er juin, soit deux mois après le début de la grève, le nombre de journées de grève était officiellement de 3 jours par agents pour l’ensemble de la compagnie nationale. Cela ne prend pas en compte le troisième mois de grève – le mois de juin – au cours duquel la mobilisation s’est maintenue à un niveau élevé. En prenant en compte le mois de juin on arrive à 4 jours par agents. Il faut remonter à 1995 pour trouver des niveaux de mobilisation aussi élevés.
Les différentes catégories de cheminots ont connu des niveaux de mobilisation différents : les plus mobilisés étant les conducteurs et les contrôleurs, c’est-à-dire ceux que l’on appelle les roulants, avec des taux de plus de 80 % en début de mouvement et encore plus de 35 % à la fin du mois de juin.
Ces chiffres sont les taux officiels communiqués par la direction de la SNCF qui a cherché à montrer, tout au long des mois d’avril mai juin, que le mouvement s’essoufflait. C’est-à-dire que pour calculer les taux de grévistes, elle faisait ses comptes sur l’ensemble des effectifs, y compris les agents en repos, en congés etc. La participation réelle à la grève est donc bien supérieure aux chiffres annoncés dans les médias.
En dehors des consignes de leurs fédérations nationales, les gaziers et électriciens de GRDF (Gaz réseau distribution France) et Enedis (ex ERDF – Electricité réseau distribution France), se sont massivement mobilisés autour de revendications communes : nationalisation de tout le secteur de l’énergie, augmentation des salaires, salaire minimum à 1800 euros, nouvelles embauches.
La mobilisation a duré près de deux mois. Des centaines de sites ont été touchés par la grève, plus de 200 ont été bloqués. Dans de nombreux endroits, les travailleurs de l’énergie ont fait jonction avec les cheminots. Localement, ils ont obtenu des embauches. Cette mobilisation se fait bien contre les conséquences de la privatisation de l’énergie entamée sous N. Sarkozy et poursuivie par ses successeurs. Cette mobilisation, c’est également un bataille contre la filialisation, qui est une des méthodes pour démanteler les entreprises publiques.
Le secteur aérien est un de ceux qui a été le plus touché par la déréglementation en terme de droit du travail au cours des trente dernières années. Les directions des compagnies nationales historiques s’appuient sur l’apparition des low-cost pour faire exploser les garanties collectives des travailleurs du secteur.
Au cours de ce printemps, les travailleurs d’Air France, toutes catégories confondues, dans l’unité de leurs organisations syndicales, ont décidé de se mettre en grève pour exiger un hausse générale des salaires, après des années de gel des rémunérations. Plusieurs appels à la grève ont été massivement suivis.
Pour mettre fin à la mobilisation, le PDG de l’entreprise a décidé d’organiser un référendum interne, cherchant ainsi à monter les travailleurs les uns contre les autres. Les salariés d’Air France n’ont pas cédé au chantage et le score du référendum a été sans appel : plus de 55% contre l’accord proposé par la direction, dans un contexte de 80 % de participation. Le PDG a été contraint de démissionner.
Le secteur de la santé constitue un enjeu stratégique pour les capitalistes. C’est la raison pour laquelle, les gouvernements successifs qui sont à leur service, s’attachent à démolir systématiquement la santé publique, la sécurité sociale etc.
Depuis plus de vingt ans, des milliers d’hôpitaux ont été fermés, des milliers de lits supprimés, des centaines de médicaments déremboursés. Pour arriver à détruire la santé publique, les hôpitaux sont soumis à un management très brutal. Malgré cela, les travailleurs de la santé résistent. Au cours des derniers mois, les grèves dans les hôpitaux, dans les cliniques privées, dans les EPHAD se chiffrent en milliers.
Le printemps 2018 a encore été marqué par de nombreux conflits dans le secteur de la santé. Une des mobilisations les plus emblématiques a été celle d’une partie du personnel du centre hospitalier du Rouvray, près de Rouen. Dans cet établissement, les agents ont décidé d’entamer une grève de la faim pour faire aboutir leurs revendications.
Au bout de plus de deux semaines de grève de la faim, les grévistes ont obtenu 30 créations de postes. C’est certes moins que leur revendication initiale (50 création de postes), mais au vu de la brutalité des directions d’établissements, c’est néanmoins un chiffre conséquent.
Les mobilisations sont également importantes à la Poste, autre entreprise récemment privatisée. À la Poste, la direction applique un management brutal qui avait entraîné plusieurs cas de suicide. Mais les agents de la Poste sont loin d’être défaits. De nombreux conflits locaux pour s’opposer aux réorganisations, aux suppressions de postes, au management de la direction, à la répression, se produisent dans l’entreprise depuis de longs mois.
Dans plusieurs cas, les grévistes ont obtenu satisfaction d’une partie de leurs revendications. Pourquoi donc, dans ces circonstances où la combativité des travailleurs n’est plus à démontrer, les directions syndicales ne construisent-elles pas la jonction entre les travailleurs en grève ?
Paris, le 11 juillet.