Un nouveau « front populaire » ?

Par Jean-Louis

Marie-Noëlle Lienemann et Émmanuel Maurel viennent de quitter le PS. Avec 650 membres de ce parti, ils ont annoncé « une scission » – scission d’un parti bourgeois, faut-il le rappeler ? – dénommée « l’alternative pour un programme républicain, écologiste et socialiste » (Après). Lors de la conférence de presse, ils ont annoncé en substance vouloir s’allier à d’autres regroupements dont, d’emblée, le MRC, fondé par J.‑P Chevènement, puis la France Insoumise, les secteurs constitués autour de B. Hamon et Y. Jadot, etc, etc.

Cette coalition aurait comme perspective, selon les fondateurs d’« Après », l’avènement d’un « front populaire du XXIe siècle » !!! Si nous comprenons bien, « au XXIe siècle », un nouveau front populaire aurait donc comme aile droite l’attelage « Après »-MRC qui tiendrait le rôle du parti radical d’É. Herriot en 1936…

Comme la prétendue défense des acquis ouvriers et démocratiques de l’entre-deux guerres et de l’après seconde Guerre mondiale se mène parfois au nom des « conquêtes du Front populaire et du programme du CNR (Conseil national de la résistance) », il nous semble nécessaire de clarifier ici les cadres politiques qui se cachent derrière ces appellations. D’autant qu’elles ramènent souvent à la phraséologie des dirigeants du PCF ou de la CGT.

Le « Front populaire »

Après sa désastreuse politique du « social-fascisme » rejetant comme « jumeaux » social-démocratie et fascisme, politique qui a eu pour conséquence l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, Staline lance la stratégie du front populaire. Cette fois, il s’agit d’une alliance des partis ouvriers de l’époque avec un secteur « républicain » de la bourgeoisie, sous prétexte de faire barrage au fascisme.

Le programme maximum d’un tel front est forcément le programme maximum de son aile la plus « modérée », bourgeoise donc, qui est ainsi l’élément déterminant de cette coalition. Le rôle réel, effectif, du front populaire est donc de faire barrage à la révolution prolétarienne. Dans ce but, la bourgeoisie remet temporairement le pouvoir entre les mains de ses valets dans le mouvement ouvrier : les bureaucraties syndicales, celles de la SFIO (l’ancêtre du PS) et du PCF en l’occurrence, en l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire authentique, vont travailler à faire refluer la vague révolutionnaire.

Ensuite, lorsque que la révolution prolétarienne hésite, recule, la bourgeoisie remet le pouvoir entre les mains des fascistes dans le but d’écraser le mouvement ouvrier. Le front populaire est un cadre de collaboration de classes. Or, du point de vue prolétarien, le front populaire peut être perçu comme l’instrument qui pourrait permettre de combattre la bourgeoisie, ce qui est en fait une illusion mortelle.

En réalité, tout dépend de l’ampleur de la mobilisation et de la détermination des travailleurs pour réaliser leur unité de classe, c’est à dire en définitive rompre avec la bourgeoisie, expulser ses représentants du gouvernement et imposer un gouvernement ouvrier et paysan. Le front unique ouvrier s’oppose en cela au front populaire. Le front unique ouvrier est, lui, un pas en avant vers la prise du pouvoir par les travailleurs. C’est un cadre d’indépendance de classe.

Pour prendre l’exemple de la France de 1934 à 1938, c’est bien, après la fusion des cortèges des manifestations appelées en réponse aux émeutes fascistes du 6 février 1934 puis la grève générale de mai-juin 1936 qui imposent au gouvernement Blum-Herriot, soutenu par Thorez au parlement, l’ensemble des conquêtes ouvrières et démocratiques du moment.

C’est bien la recherche du front unique ouvrier par les travailleurs, qui impose ces conquêtes qu’ils voient comme un pas vers le pouvoir et non la bonté, l’humanité, des Blum-Thorez-Herriot qui travaillent, eux, à contenir et faire refluer la vague révolutionnaire.

Aussi, ensuite, la défaite de la révolution espagnole et le reflux de la mobilisation révolutionnaire permettent à la bourgeoisie de se passer de Blum et de Thorez et de mettre en œuvre une dynamique qui va amener Pétain au pouvoir.

Le Conseil national de la résistance (CNR)

De même, la légende entretenue par certains secteurs du PCF et de ses nostalgiques, y compris maoïstes, par certains militants de la CGT selon lesquels « le modèle social français » issu du rapport de forces au sortir de la guerre serait l’œuvre du CNR mérite qu’on clarifie les choses.

En 1944-1945, la bourgeoisie a lâché, concédé, beaucoup par peur de tout perdre dans une situation de montée révolutionnaire à l’échelle du monde avec l’effondrement du nazisme et de ses alliés. La débâcle du régime de Vichy a vu se multiplier les grèves, occupations d’usines, les situations insurrectionnelles. C’est donc bien, là aussi, la lutte des classes, la mobilisation révolutionnaire des travailleurs qui a fait fléchir la bourgeoisie.

Ainsi, par exemple, les mineurs ont refusé de reprendre le travail tant que les compagnies minières ne seraient pas nationalisées : leur statut, la création des Charbonnages de France, sont à mettre au crédit de leur mobilisation ; de même la répression féroce de la grève de 1948, va être un des éléments qui va permettre aux capitalistes de reprendre en main la situation, préparant en sous-main le coup d’État du général De Gaulle en 1958.

Le CNR avait été constitué mi-1943 par plusieurs secteurs politiques et syndicaux, sur un large spectre qui allait des staliniens à des anciens de l’action française ou des croix de feu en passant par la SFIO, les gaullistes, la CFTC et la CGT. Fin 1943 le CNR s’est doté d’un programme qui visait à anticiper ce qui avait déjà été constaté dès 1916.

À savoir que la prolongation de la guerre impérialiste aurait invariablement comme corollaire une nouvelle montée révolutionnaire à l’échelle du monde et donc aussi en France. Le programme du CNR était contraint par la situation politique qui adviendrait à l’issue de la guerre ce qui a débouché par un volet social conséquent : une série de nationalisations, la création de la sécurité sociale, des retraites par répartition, etc, etc.

En 1936 comme en 1944, la bureaucratie aura encadré la mobilisation pour lui donner une issue qui ne remette en rien en cause l’essentiel pour la bourgeoisie : la propriété privée des moyens de production et d’échange. Ainsi, assurée de garder entre ses mains les leviers de l’économie, la bourgeoisie a eu tout loisir de saboter toute mesure progressive et a été assurée de reprendre aujourd’hui ce qu’elle a du lâcher hier.

Pour un parti léniniste

Tant en 1936 qu’en 1944 les dirigeants de la SFIO et du PCF ont pu mettre en place une politique qui a été un barrage au déferlement de la révolution prolétarienne. Ils ont pu le faire en l’absence d’un parti authentiquement communiste révolutionnaire qui aurait pu aider les plus larges masses à se saisir du pouvoir politique et économique. C’est la leçon de l’Histoire : dans les moments décisifs ceux qui sont les mieux organisés et les plus déterminés l’emportent. Le prolétariat peut faire beaucoup « spontanément », mais seule l’existence d’un parti marxiste révolutionnaire peut l’aider au moment crucial de la prise du pouvoir.

C’est ce parti, cette internationale avec des sections dans chaque pays que nous nous fixons, nous, UIT-QI et MCI, comme tâche de construire. Pour l’unité des prolétaires pour la révolution socialiste.

« La IVe Internationale jouit dès maintenant de la haine méritée des staliniens, des sociaux-démocrates, des libéraux bourgeois et des fascistes. Elle n’a ni ne peut avoir place dans aucun des Fronts populaires. Elle s’oppose irréductiblement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie. Sa tâche, c’est de renverser la domination du capital. Son but, c’est le socialisme. Sa méthode, c’est la révolution prolétarienne. » (Programme de Transition).

Toutefois, pour en revenir à la dernière scission du PS, une question se pose : ce parti a cessé d’être un parti ouvrier, quid de ses avatars qui ont si longtemps refusé de se séparer de ce parti bourgeois et qui ont même par le passé réaffirmé l’exigence de l’économie sociale de marché, c’est-à-dire l’utopie criminelle du capitalisme « social », « domestiqué » ?