Revue de presse sociale – juin 2015

Turquie - Grève dans le secteur automobile - Mai 2015

Article de L’Internationaliste n°154 de juin 2015

« La lutte de classe est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu. » K. Marx

Par Mathieu

Dans toutes les régions du monde, la montée de la lutte des classes se poursuit. Le rejet de la barbarie capitaliste s’exprime de plus en plus par des actions organisées des travailleurs. La classe ouvrière se mobilise pour les salaires, contre les licenciements, contre les mesures anti-ouvrières prises par les différents gouvernements pour faire payer la crise structurelle du capitalisme. Ces actions expriment le fait que les travailleurs cherchent les voies de l’offensive et des alternatives politiques.

En Tunisie, quatre ans après le début du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les tensions entre les classes connaissent toujours une grande intensité. Ainsi, les instituteurs ont massivement cessé le travail entre le 26 et le 28 mai. Malgré les intimidations du ministère de l’Éducation, l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) a recensé près de 96 % de grévistes en moyenne dans le pays.

Cette grève s’insère dans un contexte général de net regain des mouvements de grève autour de revendications sociales depuis plusieurs semaines. Depuis le début de l’année, ce sont 106 actions de grève qui ont été recensées par le ministère des Affaires sociales. C’est dans les régions minières, qui avaient été à l’origine de la révolution de 2011, que les mouvements de protestation contre la situation économique et contre le gouvernement sont le plus en pointe. Hôpitaux, administrations, magistrature, chômeurs se mobilisent de plus en plus massivement. Une preuve supplémentaire de la vitalité du mouvement révolutionnaire dans cette région du monde.

L’Amérique du Sud est également particulièrement touchée par une vague de protestation ouvrière croissante. Au Brésil, actuellement frappé par une dure situation économique, la mobilisation de larges secteurs de la classe ouvrière s’approfondit. Au cours des dernières semaines, les enseignants de plusieurs États et les ouvriers de plusieurs usines se sont mobilisés contre les licenciements et pour des hausses de salaire.

Le 29 mai, une journée nationale de lutte a eu lieu contre la politique anti-ouvrière du gouvernement de Dilma Roussef qui veut généraliser la sous-traitance et anéantir toute garantie collective de travail. Les secteurs de l’éducation, de la santé et des transports ont été particulièrement touchés. Quarante-huit universités fédérales ont été affectées par les arrêts de travail. Les transports ont également été paralysés dans plusieurs villes.

Il y a de nombreuses manifestations et des blocages de routes. Dans la banlieue ouvrière de São Paulo, de nombreuses usines ont été concernées par des débrayages. La réponse du gouvernement a été la répression des manifestants et des grévistes.

Au Chili, le mouvement pour une éducation publique, gratuite et de qualité se poursuit. Ce pays, après le coup d’État qui a permis la mise en place de la dictature militaire par Pinochet, a été le laboratoire de l’application de toutes les contre-réformes néolibérales désormais appliquées dans la plupart des pays de la planète. Sous la dictature, l’enseignement a été privatisé et l’éducation y est une des plus chères au monde.

Voilà plusieurs années que la jeunesse du pays, soutenue par la classe ouvrière, exige massivement dans les rues un retour à l’éducation publique. Michelle Bachelet a été élue présidente de la République sur cet engagement, bien qu’elle sache qu’il n’irait pas jusqu’au bout dans la mesure où elle se situe du côté des marchés financiers. Elle prévoit la gratuité pour 260 000 élèves en 2016. « Insuffisant ! », répondent les manifestants.

Le 28 mai, des dizaines de milliers de jeunes ont défilé dans les rues de la capitale chilienne pour exiger la gratuité pour tous et dénoncer la répression policière contre les manifestations et les grèves.

Turquie – Grève dans l’automobile – Mai 2015

En Turquie, dans la continuité des mobilisations de l’été 2013 qui ont ébranlé le pouvoir d’Erdoğan, les grèves ouvrières sont en train de se multiplier. Il y a quelques semaines, les ouvriers de l’usine Bosch de Bursa ont obtenu une augmentation de salaire. Informés de cette augmentation, ce sont les usines de l’automobile de cette ville qui se sont mises en grève (Bursa est le cœur de l’industrie automobile turque, destinée à 80 % à l’exportation, en particulier vers l’Europe).

La grève est partie de l’usine Renault de la ville avant de s’étendre à l’usine Fiat et à plusieurs sous-traitants. Plus de 15 000 ouvriers ont cessé le travail pendant treize jours pour exiger des augmentations de 60 %.

Les revendications ont été partiellement satisfaites : il n’y aura aucun licenciement, et aucune poursuite suite à la grève ; les jours de grève seront payés, des primes seront versées, les salaires seront augmentés et les travailleurs pourront adhérer au syndicat de leur choix. En effet, le mouvement de grève s’est accompagné d’une désaffiliation massive de plusieurs milliers de travailleurs du syndicat jaune Türk Metal, proche du patronat et du gouvernement.

Dans la foulée des grèves de Bursa, des usines de métallurgie d’İzmir et d’Ankara se sont mises en grève pour exiger des augmentations. Signalons aussi que la coordination CGT de Renault France a publié un tract saluant la grève des ouvriers Renault de Turquie.

En Europe, on observe également une importante activité de la lutte des classes. Nous sommes à dix ans de la victoire du non à la constitution européenne en France et aux Pays-Bas.

Le rejet de l’Union européenne comme outil des bourgeoisies contre les travailleurs du continent s’exprime dans les élections par le rejet massif des partis institutionnels, mais aussi et surtout par la multiplication des grèves. Partout dans le continent, les travailleurs et les jeunes refusent de payer la crise des capitalistes et de leur système et cherchent les voies de l’offensive et une alternative politique.

En Allemagne, on constate une explosion des mouvements de grève dont les plus emblématiques sont ceux des transports ferroviaire et aérien. De nombreux secteurs se mettent en grève pour exiger des augmentations salariales, la diminution de l’âge de la retraite, etc. Par exemple, les salariés des crèches et de l’action sociale, actuellement en grève depuis le début du mois de mai, exigent 10 % d’augmentation.

Entre le mois de janvier et la mi-mai, l’organisation propatronale Institut der deutschen Wirtschaft (Institut de l’économie allemande – IW), basée à Cologne, a recensé 350 000 jours de grève. Pour toute l’année 2014, le gouvernement fédéral avait compté 150 000 jours de grève.

Les cheminots, avec le soutien du syndicat GDL, ont observé, à la mi-mai, une grève de cent trente-huit heures, la plus longue jamais enregistrée dans l’histoire du pays dans le secteur ferroviaire. Au-delà des revendications salariales, ce qui est en jeu c’est aussi l’émergence de syndicats combatifs en marge des syndicats officiels, affiliés à la DGB (centrale des syndicats allemands), complètement engagés dans le « dialogue social », c’est-à-dire dans la collaboration de classe.

Le gouvernement de grande coalition Merkel-SPD veut ainsi restreindre la liberté syndicale en limitant à une seule le nombre d’organisations de travailleurs par branche. Il s’agit ainsi de limiter le droit de grève.

Au Royaume-Uni, après la défaite historique du parti travailliste lors des élections législatives du 7 mai dernier, des secteurs de travailleurs continuent à se mobiliser pour dénoncer la politique anti-ouvrière du gouvernement conservateur de D. Cameron. Les travailleurs des aciéries Tata Steel (qui ont racheté une partie des usines de l’ancienne entreprise publique British Steel) ont décidé à près de 90 % d’engager une action de grève dans les prochaines semaines en défense de leurs retraites.

Ce mouvement sera le premier mouvement national dans le secteur de l’acier depuis trente ans. Le 30 mai doit se tenir, à l’appel d’une coalition d’organisations syndicales et politiques, une journée nationale d’action contre l’austérité. Cette mobilisation doit être un prélude à un rassemblement organisé le 11 juin devant la Banque d’Angleterre pour dénoncer les coupes budgétaires imposées au nom du paiement de la dette.

Les organisateurs attendent plusieurs dizaines de milliers de participants. Alors que le Royaume-Uni est régulièrement cité en exemple par les plus fervents soutiens des marchés financiers, le pays est à nouveau rattrapé par la crise économique puisque la croissance du PIB a connu au dernier trimestre un très net ralentissement à 0,3 % de croissance seulement. Au Royaume-Uni, les chômeurs, les « travailleurs indépendants » (en réalité des chômeurs intermittents), les travailleurs pauvres, les précaires représentent une part croissante de la population active.

En France, si la situation sociale reste dominée par un nombre élevé de luttes, mais isolées, la tendance est au durcissement des affrontements et à la recherche d’unification des mobilisations et ce, dans un contexte où le gouvernement multiplie ses attaques en règle contre l’ensemble des conquêtes ouvrières.

Le 19 mai, 50 % des enseignants étaient en grève pour s’opposer à ce qui se révèle être une ultime entreprise de sabotage de l’éducation publique : la « réforme » des collèges de N. Vallaud-Belkacem. L’ensemble des organisations syndicales de la profession (en dehors des syndicats progouvernementaux SE-Unsa et Sgen-CFDT) ont appelé à la grève.

C’est la poussée à la base qui a contraint ces organisations à l’unité. L’ampleur du rejet de cette contre-réforme inique montre qu’il est possible de faire reculer le gouvernement. Une nouvelle grève est appelée pour le 11 juin.

France – Grève des hôpitaux à Paris – Mai 2015

Les personnels des hôpitaux publics se mobilisent également massivement contre la loi Touraine sur les hôpitaux, dont le seul objectif est de faire des économies budgétaires, au nom du remboursement de la dette publique, et, en définitive, de faire payer la crise aux travailleurs.

La pierre angulaire du plan contre la santé publique est l’attaque contre les personnels des hôpitaux de Paris. Le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, fait un véritable chantage : « Soit vous acceptez l’augmentation du temps de travail de deux heures par semaine (avec suppressions de RTT) sans hausse de salaire, soit on licencie 4 000 agents. »

L’intersyndicale CGT, Sud, FO, CFDT, CFE-CGC, CFTC a appelé à la grève le 21 puis le 28 mai. À deux reprises, ce sont près de 8 000 manifestants qui se sont réunis devant le siège de l’AP-HP, dans le quatrième arrondissement de la capitale. Les grévistes ont repris des mots d’ordre exigeant le retrait du plan Hirsch, appelant à la démission de ce dernier ainsi qu’à celle de M. Touraine, ministre de la Santé. Une nouvelle grève est prévue le 11 juin.

Les transports en commun des grandes villes du pays sont également touchés par de nombreux arrêts de travail. Ainsi les 1 400 chauffeurs de bus de Toulouse ont observé une grève de sept semaines pour exiger des hausses de salaire. L’issue du conflit risque d’avoir des conséquences sur les rapports de force entre syndicats au sein de l’entreprise.

Face à l’inflexibilité de la direction de l’entreprise et de la mairie de la ville, un protocole d’accord, qui ne satisfaisait aucune des revendications des grévistes, a été signé par la CFDT, CGT et Sud. FO a refusé de signer disant qu’il s’agissait d’un « accord dangereux pour les salariés » ; Sud (majoritaire chez les conducteurs de bus) serait au bord de l’implosion et le secrétaire de la CGT a reconnu qu’il s’agissait d’un mauvais accord.

Il y a également eu des grèves suivies dans les transports de Bordeaux et de Lyon. Les éboueurs de plusieurs villes ont cessé le travail. On recense aussi de nombreux arrêts de travail dans l’industrie et dans le commerce et la grande distribution.