États-Unis : Joe Biden un « progressiste » ? Non, vive l’indépendance de classe ! Edito internationaliste 195

Depuis sa prise de fonction le 20 janvier dernier, la politique du démocrate Joe Biden semble être saluée largement par ce que le monde compte de « progressistes » et de gens de « gauche ». Si l’on en croit la presse dominante, les commentateurs et analystes qui se relaient dans les journaux et sur les plateaux de télévision, et même certains représentants politiques de « gauche », le 46e président mettrait en place une politique « révolutionnaire », en rupture avec ses prédécesseurs, en faveur, pour reprendre la terminologie actuelle, des classes populaires et moyennes, des minorités, de l’environnement. Le secrétaire général du PCF a ainsi déclaré que J. Biden pourrait prendre sa carte dans son parti…
Cet homme politique, J. Biden, sénateur de l’État du Delaware de 1973 à 2009 (un paradis fiscal interne aux États-Unis), puis vice-président de B. Obama de 2009 à 2016, ce pilier du système politique de la première puissance impérialiste au monde, mènerait une politique en rupture avec les intérêts du capitalisme financier et service des besoins de la populations.
La question est plutôt quelle est la nature réelle de la politique menées par J. Biden et pourquoi prend-il ces mesures ? Pour les militants ouvriers, il est indispensable d’analyser correctement et sérieusement cette situation, qui plus est dans le pays qui constitue le cœur de l’impérialisme, car une analyse erronée mène nécessairement à une intervention politique erronée elle aussi.
L’élection de J. Biden
Nous avons eu l’occasion de rappeler dans les colonnes de l’Internationaliste que Joe Biden a été élu dans un contexte de polarisation extrême de la situation politique américaine, et de poussée révolutionnaire des masses.
En se mobilisant ainsi sur le terrain déformé des élections, les masses étasuniennes (travailleurs, travailleuses, jeunes, noirs notamment) ont déjoué la tentative de coup d’État de Trump, c’est-à-dire de la partie la plus radicalisée et réactionnaire de la bourgeoisie américaine, sans pour autant avoir des illusions envers le nouveau président démocrate.
Auparavant, dans le cadre de primaire démocrate, J. Biden, issu de l’aile droite de son parti, avait été défendu par son appareil contre B. Sanders, jugé comme trop à gauche par le milieu des affaires et la grande bourgeoisie étasunienne. B. Sanders a ensuite apporté son soutien à son rival afin de vaincre Trump.
Les membres du Congrès, issus de l’aile gauche du parti démocrate en ont fait de même (par exemple A. Ocasio Cortez), et ce faisant ils ont accepté de soutenir en réalité le candidat préféré de Wall-Street et son programme, contribuant à renforcer les obstacles sur la voie d’une alternative de classe indépendante.
Les « 100 jours » de J. Biden
Le consensus autour de J. Biden semble s’être renforcé au cours des 100 premiers jours du mandat du 46e président. Il a voulu agir fort et vite et marquer un changement de cap vis-à-vis de la politique menée par D. Trump, alors que le pays est doublement frappé par la crise sanitaire et économique. J. Biden a accéléré drastiquement la campagne de vaccination avec un succès certain.
Il a aussi fait voter par le Congrès américain un plan de soutien à l’économie de 1900 milliards de dollars. Il prévoit, en outre, de faire approuver un plan pour les infrastructures d’un montant de 2200 milliards de dollars sur 10 ans.
De plus, lors d’un discours devant le congrès le 28 avril dernier, il a annoncé un plan comportant plusieurs mesures sociales de 1800 milliards de dollars, concernant les allocations familiales, le développement de la gratuité d’une partie de l’enseignement supérieur, l’assurance maladie, le renforcement des congés parentaux, le développement des crèches. Enfin, il entend apporter des réponses à la crise environnementale. Pour financer ces mesures, il a également annoncé l’augmentation des impôts sur les entreprises et les plus riches.
Des plans mentionnés plus haut, seul le plan de soutien à l’économie a pour le moment été effectivement adopté. Et ce, en réalité, au plus grand bénéfice des grands groupes financiers : il s’agit d’injecter de l’argent dans l’économie qui est capté par les capitalistes. Ces derniers ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : l’indice S&P 500 de la bourse de New York a connu, lors des cents premiers jours du mandat Biden, sa plus forte hausse depuis 1961 : +8,6 %. J. Biden est bien le candidat de Wall Street.
Ensuite, même si les autres plans venaient à être adoptés, ils correspondraient en partie à satisfaire les intérêts des grands groupes capitalistes par une politique de grands travaux notamment. Il est également vrai que les mesures sur les infrastructures correspondent à un besoin vital pour l’économie américaine, étant donné le niveau de sous-investissement des dernières décennies.
Les mesures sociales s’inscrivent, quant à elles, dans le contexte d’aiguisement de la lutte des classes aux Etats, avec la mobilisation permanente massive des travailleurs et des jeunes depuis plusieurs années. Mais nous ne devons pas oublier que les mesures « sociales » aux États-Unis ont tendance à faire un détour par les poches des assureurs qui ont déjà fait leurs choux gras de « l’obama care ».
La majeure partie de ces mesures se fait en réalité au profit des capitalistes, et les quelques mesures qui pourraient sembler favorables aux travailleurs sont totalement insuffisantes pour satisfaire les besoins. Le véritable objectif de Biden est politique : en faisant, en apparence, quelques concessions il s’agit de boucher toute perspective de rupture avec le capitalisme.
L’objectif du président américain est de lâcher quelques miettes pour sauvegarder l’essentiel : le capitalisme et les intérêts de la grande bourgeoisie et de l’impérialisme. C’est un classique de l’histoire américaine. Il est d’ailleurs souvent comparé à L. Johnson et à F. D. Roosevelt, qui avaient agi dans le même sens.
Sur la corde raide
Néanmoins la politique de J. Biden et de son administration est périlleuse pour la bourgeoise américaine. En prenant les mesures citées haut, J. Biden remet de fait en cause la politique dite du « consensus de Washington » qui vise à réduire les dépenses de l’État à ses fonctions régaliennes et à privatiser tout ce qui peut l’être : grandes entreprises, secteur public, éducation, santé, etc.
Or c’est précisément au nom de l’orthodoxie budgétaire, que toutes les contre-réformes ont été mises en place depuis près de 40 ans pour justifier toutes les contre-réformes par tous les gouvernements de la planète, qu’ils soient de droite ou de « gauche ». Ce sont ces mêmes gouvernements qui reprenant le mot célèbre de M. Thatcher affirment qu’il n’y a pas d’alternative.
Les différents plans annoncés par l’administration Biden vont engendrer l’explosion de la dépense publique, ce qui provoque d’importantes discussions au sein de la bourgeoisie. Au sein des gouvernements des pays de l’UE, les critiques commencent à se faire entendre, car la politique Biden pourrait faire se renforcer la mobilisation contre les contre-réformes exigées par la Commission européenne, au nom de l’orthodoxie budgétaire.
Pour s’en convaincre il suffit de mentionner que le journaliste du très macroniste Le Monde, Arnaud Leparmentier, en bon chien de garde du capitalisme, a pu écrire que la politique de Biden s’assimilait à des folies macro-économiques.
Les risques pour Biden ne viennent pas que du secteur de la bourgeoisie. La classe ouvrière, les jeunes, les noirs sont impliqués dans un processus de mobilisation permanente depuis plusieurs années. Le rejet du capitalisme et l’aspiration au socialisme sont de plus en plus forts aux États-Unis.
La mobilisation des masses sur les questions des violences policières et plus particulièrement à l’occasion du jugement du policier D. Chauvin, assassin de G. Gloyd est de ce point de vue emblématique. Non seulement D. Chauvin a été jugé, mais en plus il a été reconnu coupable. Cela aurait été impossible sans la mobilisation mais aussi impensable il y a encore quelques années. La question de la syndicalisation et de l’augmentation des salaires sont d’autres questions significatives de cette situation.
Par ailleurs l’administration Biden est déjà plombée par certaines questions : en particulier la politique migratoire à la frontière mexicaine et le soutien inconditionnel à l’État d’Israël ce qui crée de fortes dissensions au sein du parti démocrate.
Le 18 mai, à l’occasion d’un déplacement dans le Michigan pour vanter le développement d’une ligne de montage de véhicules électriques dans une usine automobile, J. Biden a été accueilli par plusieurs dizaines de milliers de manifestants qui soutiennent la lutte du peuple palestinien et qui condamnent le soutien américain à l’État d’Israël.
Pour un parti des travailleurs, pour le socialisme
Ce dont les masses étasuniennes ont besoin, ce n’est pas d’un énième plan de relance, d’une version réchauffée du keynésianisme et d’un New Deal 3.0, dont l’objectif sera, in fine, la sauvegarde du mode de production capitaliste et de la propriété privée des moyens de productions.
Ce dont les travailleurs et les jeunes des États-Unis ont besoin, c’est d’un gouvernement par et pour les travailleurs issus des mobilisations dont l’objectif est la satisfaction des besoins sociaux de la population. La situation actuelle des États-Unis rend une telle perspective possible.
Pour cela, il faut encore un fois marteler que la classe ouvrière et la jeunesse américaines ont besoin d’un parti des travailleurs, indépendant d’un point de vue de classe. Une telle organisation se construira nécessairement en dehors et contre le parti démocrate et, cela va sans dire bien entendu, contre le parti républicain est ses divers succursales. Ceux qui prétendent le contraire mentent aux travailleurs et contribuent à boucher les perspectives de rupture avec le capitalisme et la politique impérialiste des États-Unis.