Les Gilets Jaunes en France : une situation inédite qui ouvre des perspectives pour les travailleurs et les jeunes

Par Griselda

Nous reproduisons ci-dessous un article du MCI paru dans la revue internationale de l’UIT-QI Correspondances Internationales 42.
Depuis la publication de cet article, la mobilisation des Gilets Jaunes a perduré (voir notre encadré ci-contre).GJ-stats
Les tentatives de jonction avec le mouvement ouvrier se poursuivent depuis le 5 février, notamment lors de la journée de grève interprofessionnelle du 19 mars, où des cortèges Gilets Jaunes se sont joints aux manifestations organisées par les centrales syndicales.
Concernant la répression de l’appareil d’état, elle augmente acte après acte. Certaines figures publiques du mouvement ont déjà été visées par la répression (comme Jérôme Rodriguez) pendant que le gouvernement Macron- Castaner instaure un arsenal judiciaire pour réprimer et interdire toute forme de contestation sociale.
Cependant, tout cet « empilement frénétique de lois sécuritaires » (voir notre article « l’Exception comme règle » dans ce numéro), approfondit la crise de régime, ce que montre l’abstention de 50 députés LREM pour l’adoption de la loi dite « loi anti-casseurs ».
Les interdictions de manifestation, les violences policières sont devenues la norme, tout comme les arrestations arbitraires et les procès politiques.
Et pourtant, le gouvernement ne parvient pas à empêcher les manifestations, au contraire les mobilisations pour Geneviève Legay¹ ou pour Gaspard Glanz² montrent que Macron et Castaner n’arrivent pas à étouffer la colère sociale.
Nos conclusions en date du 22 février, s’avèrent toujours actuelles : « le mouvement des Gilets Jaunes a ébranlé le pouvoir et a ouvert une situation inédite dans le pays, porteuse de grandes possibilités ».
Par ailleurs, Macron qui comptait fermer le processus avec le grand débat et les élections européennes, n’avait pas vu le réveil du peuple algérien qui a redonné une nouveau souffle à la lutte des classes en France.


1. Geneviève LEGAY, septuagénaire, a été hospitalisée dans le coma, après avoir été poussée par les forces de l’ordre. Elle participait à un rassemblement à Nice pour l’acte XIX. Plus d’une dizaine de rassemblements se sont déroulés en France les lundi et mardi qui ont suivi son arrestation.
2. Gaspard GLANZ, journaliste de Taranis News a été placé en garde à vue alors qu’il couvrait l’acte XXIII à Paris. Sa cagnotte de soutien a récolté plusieurs milliers d’euros, et 16 rédactions ont apporté leur soutien au journaliste qui passera en procès le 18 octobre.



article du MCI paru dans la revue internationale de l’UIT-QI Correspondances Internationales n°42

Une situation inédite qui ouvre des perspectives pour les travailleurs et les jeunes

Depuis plus de trois mois, la mobilisation des Gilets Jaunes, en France, correspond à un mouvement social d’une nature et d’une ampleur inédite : il se fait en dehors des organisations politiques et syndicales, et il ébranle l’appareil d’État.

Le gouvernement est affaibli et il répond par la mise en place d’une véritable dictature constitutionnelle, avec restriction des libertés publiques, individuelles et une répression très dure. Près de 4000 personnes ont été jugées et des centaines ont été gravement blessées par la police.

Les Gilets Jaunes sont l’expression sur le terrain de la lutte des classes d’une crise sociale profonde et d’un rejet des politiques capitalistes, à l’échelle nationale et de l’Union Européenne. Cela est train de transformer une crise politique qui dure depuis plusieurs années en réelle crise de régime.

Par leur mobilisation, les travailleurs et les jeunes sont en train de créer les conditions pour ouvrir une issue politique répondant à leurs aspirations.

Pour répondre correctement aux défis posés par cette situation inédite, il faut en comprendre les causes profondes, et identifier les obstacles qui se dressent sur les chemins de cette mobilisation.

Qu’est-ce que le mouvement des Gilets Jaunes ?

gilets jaunesLe mouvement des Gilets Jaunes trouve ces origines dans une crise politique et sociale profondes. En 2017, les deux partis bourgeois qui se succèdent au pouvoir depuis plus de 40 ans, ont été durement sanctionnés par les électeurs.

Le Parti Socialiste, qui est un parti totalement bourgeois, a été laminé. Il n’a obtenu que 5 % des voix des inscrits. Il a ainsi payé ses trahisons vis-à-vis des travailleurs et des jeunes.

C’est dans ce contexte de rejet des institutions que E. Macron a pu effectuer son « hold-up » électoral et être élu président de la République avec moins de 18 % des inscrits. Cela signifie que E. Macron, malgré le chantage exercé pour faire barrage à M. Le Pen, a bénéficié, dès le début, d’une base électorale trop réduite pour mettre en place ses contre-réformes.

Une grande partie des travailleurs se sont abstenus, venant ainsi confirmer une tendance qui s’alourdit depuis plusieurs années, et plus particulièrement depuis le non-respect du rejet du traité européen en 2005. C’est d’ailleurs un élément qui a été explicitement affirmé par de nombreux Gilets Jaunes qui revendiquent une abstention politique active.

Nous, MCI, nous situons dans cette logique, puisque nous avons été parmi les initiateurs, en mars 2017, du Premier tour social et nous avons appelé à l’abstention active et à la grève générale contre Macron.

Cet appel correspondait à la situation sociale du pays. En effet, depuis plusieurs années, la France connaît un processus profond et durable d’aiguisement de la lutte des classes. De très larges secteurs de la classe ouvrière et de la jeunesse résistent à la mise en place des contre-réformes contre le droit du travail, visant à détruire les services publics, etc. Et s’opposent à l’UE.

Le mouvement des Gilets Jaunes est, à la base, une mobilisation sur la question du rejet de la hausse d’une taxe sur le gasoil. Très vite cela s’est transformé en mouvement social d’ampleur puis en crise politique majeure. Le mot d’ordre qui s’est imposé massivement a été celui de « Macron démission ! ».

La question qui se pose aux travailleurs est celle de l’issue politique. Comment arriver à faire aboutir leurs justes revendications ? Pour cela il faut identifier et lever les obstacles qui se dressent devant la mobilisation des masses.

Quels sont les obstacles ?

Face à l’approfondissement de la crise du capitalisme et ses conséquences, les travailleurs et les jeunes de France se sont mobilisés pour s’opposer aux contre-réformes mises en place par les gouvernements de droite et de « gauche ».

Au cours des dernières années, la question de la grève générale, celle qui pose la question du pouvoir, a été posée à plusieurs reprises : en 2003, 2008, 2010 à propos des retraites, en 2006 contre la précarisation de la jeunesse, en 2016 contre la remise en cause de la législation du travail.

Depuis cette date, ce puissant mouvement s’est enraciné. Chaque jour, il y a des dizaines de grèves, qui ne sont pas unifiées uniquement en raison de la politique de trahison des directions syndicales et politiques. Dans ce pays, il y a une aspiration à la grève générale.

À chaque fois, les directions bureaucratiques nationales mettent toutes leurs forces pour empêcher la réalisation de la grève générale alors que les conditions sont réunies. Dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes, la bureaucratie a commencé par le rejeter en disant qu’il s’agissait d’un mouvement dirigé par l’extrême-droite puis a essayé de le récupérer pour mieux l’étouffer.

Mais finalement, c’est un mouvement de débordement de ces bureaucraties auquel on a assisté. Le 5 février, les directions syndicales ont été contraintes d’appeler à une journée nationale de grève interprofessionnelle qui a rassemblé plus de 300 000 personnes. À la base, de nombreuses sections syndicales avaient déjà fait la jonction avec les Gilets Jaunes, contre l’avis de la direction nationale.

Sur la clarté des intentions de la bureaucratie mentionnons que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a déclaré qu’il ne suffisait pas d’appuyer sur un bouton pour réaliser la grève générale : visiblement il y en a un pour ne pas la réaliser.

Cela montre qu’il y a eu un saut qualitatif dans l’intégration des syndicats : en effet, pendant que les travailleurs se mobilisent contre les contre-réformes du gouvernement, les directions négocient la régression sociale. C’est une politique de collaboration de classe.

La bureaucratie syndicale est imbriquée avec des forces politiques bourgeoises – les ruines de la sociale-démocratie – ou contre-révolutionnaires – les héritiers du stalinisme.

Le problème ne se situe pas simplement à ce niveau. La nature de la bureaucratie devrait être le constat dressé par les forces se réclamant du trotskysme dans ce pays et devrait être le point de départ pour l’élaboration d’une politique d’indépendance de classe et de mobilisation des travailleurs. Or les principales forces de l’extrême-gauche française sont totalement institutionnalisées.

À cet égard, le cas du NPA est particulièrement significatif. Cette organisation qui a liquidé tout l’héritage du marxisme révolutionnaire et de la 4e Internationale, considère le trotskysme comme une simple référence intellectuelle. Cette rupture avec les principes du marxisme révolutionnaire a une implication très concrète.

Lors des élections de 2017, le NPA a refusé d’appeler à l’abstention, se situant ainsi du côté des forces bourgeoises. Lorsque le mouvement des Gilets Jaunes a éclaté, le NPA, par la voix de son porte-parole, P. Poutou, a refusé de soutenir le mot d’ordre « Macron démission ! » parce cela « risquait d’ouvrir les portes du pouvoir à quelqu’un qui serait contraire aux intérêts des travailleurs ! »

Cela s’explique parce que le NPA considère, comme les autres partis institutionnels que les Gilets Jaunes, et d’une manière générale les travailleurs, sont racistes et sexistes. On voit là les dégâts des théories petites-bourgeoises, telle l’intersectionnalité qui a remplacé la lutte des classes.

P. Poutou est encore ouvrier dans une usine automobile de la région bordelaise (Ford à Blanquefort) qui emploie 860 ouvriers : cette usine doit fermer. Ses propositions se situent sur le terrain de la bonne gestion du capitalisme : en effet, il faut trouver un bon repreneur privé, mais en aucun cas il ne s’agit de contrôle ouvrier sur la production et d’ouverture des livres de comptes¹.

Le NPA n’est pas seulement une organisation inutile : c’est une organisation révisionniste, qui n’a plus rien à voir avec le mouvement ouvrier et encore moins avec le marxisme révolutionnaire.

C’est à cause de la politique menée par le NPA que nos opposants politiques disqualifient ce qu’ils considèrent être du trotskysme. Le NPA constitue un obstacle sur la voie de la mobilisation des travailleurs et des jeunes, obstacle qui doit être levé.

Quelle issue politique ?

Le mouvement des Gilets Jaunes a ébranlé le pouvoir et a ouvert une situation inédite dans le pays, porteuse de grandes possibilités. Elle a aussi démasqué les organisations politiques et syndicales, qui dans la pratique, se battent pour la sauvegarde des institutions et du mode de production capitaliste.

Les militants marxistes révolutionnaires doivent intervenir dans le sens de l’indépendance de classe et de la mobilisation des travailleurs et des jeunes.

Les mots d’ordres de grève générale et de « Macron démission ! » permettent de mobiliser dans cette direction. Le devoir des marxistes révolutionnaires c’est d’être aux côtés des masses et de veiller à faire avancer ces mots d’ordre.

C’est ce que le MCI s’attache à faire.

Paris, le 22 février 2019


1. Interview au magazine « Les Inrockuptibles » le 28/12/2018 – https://www.lesinrocks.com/2018/12/28/actualite/2018-vue-par-philippe-poutou-les-medias-ne-filment-les-ouvriers-que-quand-ils-pleurent-111153219/