Revue de Presse Sociale – Mai 2016

«La lutte de classe est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu» K. Marx
Alors que l’Union Européenne est plongée dans un crise politique sans précédent, et qu’une nouvelle déflagration de la crise du capitalisme se profile, la réalité de la lutte des classe sur le continent européen a encore été très tendue au cours des dernières semaines.
Plusieurs pays ont été touchés par des conflits importants, la France occupe le devant de la scène en raison de la mobilisation des travailleurs et des jeunes contre le projet de loi El Khomri, dite loi Travail, qui a commencé au début du mois de mars.
En Allemagne, le 27 avril, les fonctionnaires travaillant dans les six principaux aéroports du pays ont cessé le travail à l’appel du syndicat Ver.di (syndicat unifié des services) pour réclamer des hausses de salaires. La grève a entraîné 1 200 suppressions de vols en particulier dans les aéroports de Munich et Francfort. Suite à cette grève, 2 millions de fonctionnaires ont obtenu une augmentation de 4,75 %. Les syndicats réclamaient 6 %.
Le 29 avril, plus de 110 000 métallurgistes, principalement dans le secteur de l’automobile, se sont mis en grève à l’appel du syndicat IG Metall pour exiger une augmentation de 5 % pour les 3,4 millions de travailleurs couverts par la branche.
Il faut noter que cette grève s’insère dans un contexte social d’ascension de la lutte des classes en Allemagne. Ainsi, d’après les chiffres officiels publiés au mois de mars, il y a eu, en 2015, près de 2 millions de jours de grèves – le chiffre le plus élevé depuis 10 ans – et 1,1 million de personnes ayant participé à des grèves. En 2014, il y avait eu moins de 400 000 jours de grèves. C’est à dire qu’en l’espace d’un an, les grèves ont été multipliées par 5.
En Angleterre, plus de 23 000 des 50 000 médecins internes des hôpitaux publics se sont mis en grève pendant 48 heures à la fin du mois d’avril pour s’opposer à la remise en cause du service public de santé (NHS – National Health Service) par le gouvernement de D. Cameron. Des milliers d’opérations non urgentes et de consultations ont été annulées. C’est la première fois depuis la création du NHS en 1948, que les services d’urgences anglais sont touchés par un mouvement de grève.
Sur un terrain plus politique, 22 000 personnes se sont rassemblées à Reykjavík, en Islande (le pays compte environ 350 000 habitants) pour exiger la démission du premier ministre concerné par le scandale des Panama Papers. Par référendum, les Islandais avaient déjà refusé que l’état renfloue les banques qui avaient spéculé avant la crise financière de 2008 et ont également refusé d’entrer dans l’UE pour se soumettre à ses exigences.
Depuis la fin de l’année dernière, le climat social se tend à nouveau fortement en Grèce, pour dénoncer la politique de collaboration d’A. Tsipras avec les institutions financières internationales et l’UE. Après plusieurs grèves nationales massivement suivies, ce sont les contrôleurs aériens qui se sont mis en grève. Le jeudi 5 avril, leur arrêt de travail a interrompu 100 % du trafic aérien à destination et en provenance de la Grèce.
Au Portugal, une grève dure oppose, depuis la fin du mois d’avril, les dockers à la direction du port de Lisbonne sur la question des contrats de travail, des temps de service et des salaires. Ils dénoncent la déréglementation dont leur statut a fait l’objet.
Le port de Lisbonne est totalement bloqué et le patronat exige la mise en place d’un service minimum et l’embauche d’intérimaires pour remplacer les grévistes. Le 29 avril, plus de 6500 taxis ont défilés à Porto et à Lisbonne pour demander l’interdiction de la plate-forme Uber. Il s’agit d’une des plus importantes mobilisations du secteur des dernières années.
En France, la situation sociale reste marquée par la très importante mobilisation des travailleurs et des jeunes contre la loi El Khomri. Depuis maintenant plus de deux mois, la classe ouvrière et la jeunesse se battent dans la rue et sur leurs lieux d’étude et de travail pour exiger le retrait de cette loi.
Ni les vacances scolaires, ni la féroce répression policière dont ils sont victimes, ni les manœuvres des directions syndicales bureaucratiques ne semblent décourager les travailleurs et les jeunes. Au contraire, on assiste à un durcissement du conflit et à une combativité très forte de la part de larges secteurs aussi bien à la base des organisations syndicales qu’en dehors.
La question qui est au centre des Assemblées Générales, des discussions au sein des bases syndicales, est de savoir comment construire la grève générale jusqu’au retrait total de la loi, dans l’unité entre travailleurs et jeunes.
Le 9 avril, les organisations syndicales ont appelé à manifester un samedi, « pour que les salariés qui ne font pas grève la semaine puissent manifester ». Adopter une telle ligne, c’est adopter une position digne de la CFDT, qui ne veut pas « déranger » les patrons et l’activité économique. En fait c’est une tentative de démobiliser les travailleurs.
Malgré cela, la mobilisation a été importante. Ainsi, ils étaient plus 110 000 à Paris, de 20 000 à Toulouse, 15 000 à Nantes, 4 000 à Rennes, encore plusieurs milliers dans les villes normandes de Rouen et du Havre où la mobilisation est particulièrement importante depuis le début du mois de mars.
Dans le même temps, on a aussi vu émerger le mouvement Nuit Debout à partir du 31 mars, qui depuis cette date rassemble des centaines de personnes chaque soir dans des dizaines de villes.
Voyant que ces tentatives de démobilisation ne fonctionnaient pas, l’appareil d’état a décidé de durcir la répression en multipliant les provocations et les violences policières en particulier à l’égard des jeunes – étudiants et lycéens – et des syndicalistes.
Des comparutions immédiates ont eu lieu, et des peines de prison ferme ont été prononcées. Le gouvernement s’appuie sur l’appareil policier pour provoquer les manifestants et les accuser de « violences ». Cela a été le cas à Nantes, Rennes, Lille, Paris, Toulouse en particulier.
Malgré cette répression, le 28 avril, alors que la région parisienne et les académies de Montpellier et Toulouse étaient en vacances, il y a encore eu plus de 500 000 manifestants dans toute la France, dont 60 000 à Paris, plus de 30 000 à Marseille, 20 000 à Nantes, 10 000 à Rennes et Toulouse.
Contrairement à ce qu’ont annoncé plusieurs médias, la mobilisation n’a pas connu un essouflement, elle connaît au contraire une augmentation dans plusieurs villes comme à Lille, Rennes, Nantes et dans les villes normandes.
La mobilisation s’est poursuivie le 1er Mai, à l’occasion de la journée internationale des travailleurs. Lors de cette journée les violences policières ont été généralisées. À Paris, où près de 70 000 personnes, selon les syndicats, sont descendues dans les rues, les CRS ont scindé la tête de cortège où se trouvaient les jeunes du reste du cortège. Là encore, il s’agissait de faire peur à la jeunesse pour qu’elle arrête de manifester et de se mobiliser.
Le 3 mai, une nouvelle journée de mobilisation a eu lieu. Le jour où le débat parlementaire a commencé à l’Assemblée Nationale, ce sont encore des milliers de travailleurs et de jeunes qui se sont mobilisés à travers tout le pays. Des actions de grèves ont été menée, comme par exemple à Lorient où le port a été bloqué. A Toulouse des centaines de jeunes ont défilé dans la rue avant de rejoindre les travailleurs sociaux en lutte contre les coupes budgétaires opérées par le Conseil Départemental de Haute-Garonne, les agents hospitaliers en lutte contre les suppressions de postes, les agents des finances publiques etc.
Désormais, le spectre qui hante le gouvernement, le patronat et les bureaucraties syndicales et politiques, est bien celui de la grève générale et de l’unification avec les secteurs en lutte. Car parallèlement à la mobilisation contre la loi El Khomri, les grèves dures et longues continuent (par exemple les employés des cantines scolaires de Villeurbanne ont effectué 6 semaines de grèves pour exiger des augmentations et des embauches supplémentaires et il y a de nombreux autres exemples de grèves dures dans l’industrie, dans les transports publics, à la poste etc.).
Actuellement, un des secteurs les plus explosifs et qui pourrait entraîner l’ensemble des travailleurs dans la grève générale est celui des transports et plus particulièrement les cheminots. Les fédérations FO et CGT transports ont d’ores et déjà appelé les chauffeurs routiers à la grève reconductible pour le retrait de la loi El Khomri à compter du 18 mai.
Du côté des cheminots, la pression à la base est très forte. Mais la bureaucratie essaie d’empêcher que la lutte actuelle des agents contre le remise en cause du statut de cheminot s’unisse à celle contre la loi El Khomri. La direction de la CGT Cheminots veut ainsi multiplier les grèves de 24 heures pour épuiser et démoraliser les agents et repousse sans cesse la perspective d’une grève reconductible.
De plus, pour contenter l’UNSA et la CFDT qui sont favorables à la loi El Khomri, les syndicats Sud Rail, CGT et FO ont appelé les cheminots à une grève de 24 heures sans reconduction, le 26 avril, soit deux jours avant le journée nationale contre la loi travail du 28 avril. La mobilisation a été très forte, de très nombreux trains ont été annulés.
La situation actuelle est complexe et est marquée par une très forte intensité de la lutte des classes. Si d’un côté tout est fait par l’état et les bureaucraties syndicales pour démobiliser les jeunes et les travailleurs – la bureaucratie syndicale demeure le principal obstacle à la grève générale et à la mobilisation indépendante des travailleurs – la pression à la base et la volonté d’en découdre avec le gouvernement et l’appareil d’état demeurent très fortes. Plus que jamais, la victoire est possible.