INDE : Vive la révolte de la paysannerie et des travailleurs ! Dehors le gouvernement Modi !

Campement à New Dehli, regroupant plusieurs centaines de milliers de personnes, janvier 2021.

Déclaration du MCI, Paris le 9 mars

Depuis plusieurs mois, la situation politique sociale de l’Inde connaît une véritable montée révolutionnaire des masses. S’il s’agit d’une tendance de long terme, les événements les plus récents, autour de la mobilisation des paysans indiens contre le gouvernement, marquent un réel approfondissement dans ce sens.

Étant donné le poids démographique de l’Inde1, une partie du développement de la révolution mondiale se joue dans cette région du monde. La situation indienne de la lutte des classes et les questions politiques qu’elle pose doit retenir l’attention de tout militant ouvrier sérieux.

Le 8 mars, les paysans installés dans des campements bloquant les principales entrées de la capitale indienne, New Delhi, ont fêté les 100 jours de leur occupation.

À cette occasion, où de nombreuses femmes ont pris la parole dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes, ils ont affirmé qu’ils étaient prêts à tenir encore cent jours, et plus s’il le fallait, pour que le gouvernement indien retire ses lois libéralisant le secteur de l’agriculture.

Le gouvernement Modi : la réaction sur toute la ligne

Depuis 2014, l’Inde est gouvernée par Narendra Modi, à la tête du BJP (Bharatiya Janata Party). Pour comprendre la violence des affrontements de classe actuellement en cours en Inde, il faut mentionner l’origine historique de cette organisation politique.

Le BJP est un parti raciste représentant la droite nationaliste indienne, financé par une partie significative de la grande bourgeoisie indienne. Un parti créé à partir de la milice paramilitaire d’extrême droite, le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), en 1980, dont est issu Modi lui-même.

Depuis sa création, le BJP, occupe alternativement le pouvoir avec l’autre principal parti indien, le parti du Congrès. Ce dernier, qui est un parti nationaliste bourgeois, a longtemps joui du prestige d’avoir obtenu l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni en 1947.

Il a occupé le pouvoir sans discontinuité de l’indépendance à la fin des années 1970. C’est le parti de Mohandas Gandhi et surtout du clan Nerhu : Jawaharlal Nehru, Indira Ganhi, Rajiv Gandhi, Rahul Gandhi, Sonia Gandhi ont tour à tour occupé des rôles de premier rang au sein du Parti du Congrès et du gouvernement de l’Inde.

Dans un premier temps, dans les années 1950 et 1960, ce parti a présenté sa politique comme « socialisante » après avoir opéré la nationalisation et la réglementation de larges secteurs de l’économie sous la pression des masses.

Mais le Parti du Congrès n’a jamais fondamentalement touché à la propriété privée des moyens de productions, à la richesse de la grande bourgeoisie indienne ni aux intérêts impérialistes en Inde.

Le parti du Congrès a toujours entretenu des liens proches avec les pays impérialistes, et surtout il n’a pas remis en cause le système semi-féodal des castes2. Pire, à l’image des partis néo-réformistes des pays impérialistes, c’est le Parti du Congrès qui a opéré le « tournant libéral » de la politique économique indienne à partir des années 1980, en la personne de Rajiv Gandhi, et encore plus dans les années 1990.

De larges secteurs de l’économie ont été privatisés et déréglementés, aggravant la situation de centaines de millions de travailleurs indiens pauvres.

Logiquement, une large partie des masses indiennes s’est détournée du parti du Congrès. Dans ce contexte, la droite nationaliste indienne s’est renforcée. Le BJP, qui est le principal parti politique de ce courant, est donc l’expression de la radicalisation de la bourgeoisie indienne et le représentant de ses intérêts.

Dans un contexte d’approfondissement de la crise du capitalisme dans le monde et en Inde, le BJP mène une politique raciste – qui repose sur l’attisement des tensions confessionnelles – anti-démocratique et anti-ouvrière, contre la classe ouvrière indienne. Cette politique a valu à N. Modi le surnom de « Trump indien ».

Depuis son arrivée au pouvoir, Modi a mené une politique particulièrement virulente contre les travailleurs et les minorités religieuses : il a notamment voulu restreindre l’accès à la nationalité indienne, aux seuls réfugiés de confession hindoue, excluant de fait les réfugiés musulmans en Inde et ouvrant la possibilité à la déchéance des plus de 200 millions d’Indiens musulmans.

Dans le contexte de la pandémie de Covid, il a également permis aux états indiens de suspendre le code du travail pour les travailleurs protégés (des centaines de millions de travailleurs travaillent dans ce que les économistes appellent pudiquement le secteur informel, et n’ont aucun droit), supprimant ainsi la durée légale du temps de travail et dérégulant totalement le montant des salaires.

Les farm bills pour liquider la paysannerie indienne

Dans le contexte de la crise économique, aggravée par la pandémie de Covid-19, qui a durement touché l’Inde, le gouvernement Modi a décidé d’accélérer le rythme de ses attaques contre les masses indiennes pour garantir les intérêts de la bourgeoisie nationale et de la finance internationale.

Depuis son élection, Modi appelle à une « deuxième révolution verte », en référence à la « révolution verte », qui a été une première vague d’industrialisation de l’agriculture dans certains états du nord de l’Inde. Il a reçu pour cela le soutien de nombreux « éminents » économistes des institutions nationales internationales (FMI etc.), présentant ces contre-réformes comme nécessaires pour la « compétitivité » de l’Inde.

En septembre 2020, les chambres basse et haute indiennes dominées par les membres du BJP ont approuvé trois lois visant à déréglementer le secteur de l’agriculture.

Ces lois visent notamment à ôter des produits alimentaires de premières nécessité (pommes-de-terre, oignons, huiles, graines), de la liste des produits dont la production et la commercialisation sont réglementées.

L’objectif de ces mesures est de réorganiser de manière brutale le secteur de l’agriculture au profit des grands groupes indiens et internationaux et au détriment des paysans, en intégrant ce secteur au marché mondial financiarisé des produits agricoles. En Inde, d’après les statistiques officielles, 47 % de la population active travaille dans l’agriculture.

Cela représente 250 millions d’emplois directs. Si l’on ajoute les emplois indirects et les familles des paysans, on peut considérer que plus de 500 millions de personnes sont concernées par ces mesures.

Mais les projets du gouvernement se heurtent à une résistance historique de la paysannerie indienne, soutenue activement par la classe ouvrière indienne, et ce malgré la répression du gouvernement, et les obstacles qui se dressent sur le chemin de leur mobilisation.

Les salariés de Toyota en grève, décembre 2020.

Une mobilisation paysanne et ouvrière qui vient de loin

La mobilisation paysanne et ouvrière d’opposition à la libéralisation du secteur de l’agriculture s’inscrit dans une longue montée de la lutte des classes qui s’est intensifiée depuis l’arrivée au pouvoir de Modi.

En 2016, une première grève appelée par les principales centrales syndicales du pays avait mobilisé, selon les estimations, entre 150 et 180 millions de grévistes. En 2019, Modi a voulu réformer le code de la nationalité indienne, confirmant sa volonté d’attiser les oppositions confessionnelles entre hindous et musulmans pour contrer la lutte des classes croissante. Mais cette mesure a fait descendre dans la rue des millions de personnes de toutes origines.

Ce que l’on peut considérer comme un véritable soulèvement paysan contre les contre-réformes du gouvernement a commencé au mois d’août dernier, en partant des états du nord de l’Inde, de Pendjab et l’Haryana. Dans ces états, des dizaines de milliers de paysans se sont organisés pour converger vers la capitale Delhi.

Sous la pression des paysans et de leurs organisations, qui appellent à l’unité ouvrière et paysanne contre les mesures de Modi, les syndicats ouvriers ont été contraints d’appeler à une grève nationale, le 26 novembre dernier : à cette occasion plus de 250 millions de travailleurs indiens ont cessé le travail, ce qui en fait la grève la plus importante de l’histoire de l’Inde et de l’histoire de l’humanité.

Dans la foulée, les paysans, par centaines de milliers ont marché sur Delhi, mais ont été empêchés de pénétrer dans la capitale par l’armée. Des campements bloquant les principaux accès routiers de la ville, et réunissant près de 300 000 personnes ont été installés et sont toujours en place, à l’heure où ces lignes sont écrites, plus de 100 jours après leur installation.

Pour un gouvernement ouvrier et paysan !

Le gouvernement, qui réprime la mobilisation essaie de boucher les perspectives politiques pour les paysans, en enfermant la mobilisation dans un jeu de négociation, et propose d’ajourner de quelques mois l’application de la loi. Mais les représentants paysans s’appuient sur la puissance et la détermination des masses et exigent le retrait pur et simple des farm bills de septembre 2020.

Ils exigent également un revenu garanti, des prix minimum pour les produits agricoles ainsi que l’abandon de toutes les poursuites entreprises contre des dirigeants paysans dans le cadre de la mobilisation.

En plus de la répression, les paysans doivent faire face à des obstacles politiques. Les organisations syndicales de travailleurs ont appelé à la grève du 26 novembre sous la pression de la base. Mais souvent ces organisations sont liées aux vieilles organisations politiques staliniennes, maoïstes, ou nationalistes bourgeoisies qui pratiquent la collaboration de classe.

Le Parti Communiste d’Inde, Le Parti Communiste d’Inde (marxiste) – ce dernier étant issu d’une scission pro-chinoise du premier en 1964 – gouvernent avec le parti du Congrès de l’État du Kerala, et ces partis ont gouverné pendant de longues années le Bengale occidental, où se trouve la ville de Calcutta, sans remettre fondamentalement en cause les politiques exigées par la bourgeoisie indienne et l’impérialisme.

Dans le cadre actuel, ces organisations ne tracent pas de perspective politique indépendante et de classe.

En se mobilisant depuis des mois, les paysans et ouvriers, hommes et femmes, hindous et musulmans, de différentes castes, construisent concrètement l’unité par en bas, et ils l’imposent à leurs organisations. Ils posent la question de l’alternative politique, de l’indépendance politique de la classe ouvrière et de la paysannerie et en définitive celle du pouvoir pour la classe ouvrière et la paysannerie : un gouvernement ouvrier et paysan.


1L’Inde compte environ 1,4 milliards d’habitants, presque 2 milliards s’il l’on prend en compte l’ensemble du sous-continent indien (Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka…), c’est-à-dire plus d’1/4 de l’humanité.

2Aujourd’hui les castes inférieures, désignées officiellement par le gouvernement comme castes en retard, constituent entre 30 et 40 % de la population indienne. Le groupe le plus connu de ces classes sont les Dalit (intouchables). Ils sont plus de 200 millions, et participent actuellement à la mobilisation paysanne en cours.