Ce que confirme «   l’affaire Benalla  »

Macron et Benalla

« L’affaire Benalla » est une confirmation plus qu’une révélation. Celui qui prétendait entrer dans un « nouveau monde » et voulait bouleverser la façon de faire de la politique, E. Macron, est sur ce plan-là pour le moins, un illusionniste. Qui a pu croire, ou faire mine de croire, un seul instant à cette escroquerie ? Ceux qui ambitionnaient de s’attaquer rapidement et brutalement aux conquêtes ouvrières et démocratiques.

Mais « l’affaire Benalla », quelle que soit son issue sur le plan judiciaire et quelles que soient les conclusions de la commission d’enquête parlementaire, aura eu le mérite de rafraîchir la mémoire de ceux qui ont perdu de vue ce qu’est la réalité de la Ve République : un coup d’État permanent, pour reprendre la formule et le titre d’un pamphlet de F. Mitterrand, vite oubliés par son auteur.

Souvenons-nous, L. Wauquiez, président de LR et G. Larrivé, secrétaire général délégué du même parti bourgeois, n’étaient pas encore nés. Le premier avait crié à la dictature face aux réactions de la presse suite à une intervention devant des étudiants à Lyon début février et, sur France Info, le 11 septembre, le second a eu le culot d’affirmer en substance que la dynamique à l’œuvre au sein des institutions fait qu’on n’est plus tout à fait dans le Ve République et que la pratique de Macron est à l’opposé de celle du général de Gaulle !

Souvenons-nous, donc. En 1958, C. de Gaulle, disciple d’un ennemi du « régime des partis », C. Maurras, arrive au pouvoir à l’issue d’un coup d’État appuyé par des secteurs de l’extrême-droite et par l’armée. La Ve République naît alors sous le signe de la confusion des pouvoirs. Le Président « au-dessus des partis », élu par un vote plébiscitaire, dispose de pouvoirs tellement étendus que l’exécutif l’emporte dès 1962 sur le législatif et sur le judiciaire.

Le rôle du parlement est alors si réduit qu’on peut le comparer au « parlement croupion » de Cromwell. En son sein, la majorité présidentielle, les députés godillots de l’UDR, marchent – déjà ! – au pas sous la férule de Charles de Gaulle et de Michel Debré, fondateurs du régime.

Le ministre de la « justice » fait la pluie et le beau temps dans les tribunaux et enterre promptement les affaires comme celle de la « disparition » de Mehdi Ben Barka, le 29 octobre 1965, pour n’en citer qu’une, oh combien symptomatique. Le ministre de « l’information » dispose d’une ligne directe qui lui permettait d’appeler le présentateur du journal télévisé à l’antenne et il ne s’en prive pas.

Le droit de grève est menacé, le droit de manifester également : jusqu’en 1967, le défilé du 1er mai est interdit… Et enfin, si on peut mettre un point final à cette liste, pour les basses besognes, le pouvoir s’appuie sur une véritable police politique, le SAC (service d’action civique).

Aurions-nous dû écrire à l’imparfait ? Non. Tout ceci existe encore, simplement les formes ont changé. Par exemple, aujourd’hui, les ministres « twittent » aux patrons de presse qui rappellent à l’ordre leurs journalistes, si tant est que ces derniers osent s’éloigner de la ligne de « l’avenir radieux du capitalisme libéral », tant règne l’autocensure. Le SAC a changé de nom, et les pratiques barbouzardes du régime ont toujours cours.

Ainsi, par certains aspects, « l’affaire Benalla » rappelle « l’affaire Gérard Le Xuan », du nom d’un « casseur » intercepté par le SO de la CGT lors de la manifestation des sidérurgistes, le 23 mars 1979, policier qui portait sur lui son arme de service, son brassard et sa carte de police1.

Ce que messieurs les « républicains », semblent déplorer maintenant est en réalité la norme depuis 60 ans avec la Ve République ! Sauf que, malgré tout, ce général n’a pas pu aller jusqu’au bout de la mise en place d’un régime bonapartiste : les travailleurs l’en ont empêché.

Les mineurs d’abord, en 1963, rejetant la réquisition dont les avait menacés le gouvernement, au terme d’une grève de plus d’un mois, imposent en grande partie leurs revendications salariales. Pour cela, ils ont fait l’unité et ils ont défendu le droit de grève menacé par le gouvernement.

Les grèves de 1967, contre les ordonnances de la sécurité sociale, la grève générale de Guadeloupe dont la répression fait des dizaines de morts, ouvrent la voie à la grève générale de mai-juin 1968 qui amène le pouvoir au bord de la déroute.

En 1969, les travailleurs voteront massivement « non » au référendum voulu par de Gaulle, lui infligeant une défaite politique décisive, le contraignant à démissionner. Un référendum par lequel il avait essayé de mettre en place un sénat corporatiste, au sens classique de ce terme, un sénat fusion de la « chambre haute » actuelle, vestige de l’Ancien régime, et du Conseil économique et social.

Aujourd’hui, Macron ambitionne d’accentuer le caractère bonapartiste du régime. Il suffit de se pencher sur les grands axes de son projet de réforme constitutionnelle intitulé : « Pouvoirs publics : pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Comme toujours sous prétexte de « simplification » de « rationalisation », le nombre des députés serait réduit, il faudrait « raccourcir des délais d’examen [des projets de loi] trop longs », « lutter contre le dévoiement du droit d’amendement », « assouplir les modalités de fixation de l’ordre du jour [du parlement] ».

Il faut aussi à Macron « l’ouverture du Conseil économique, social et environnemental à la société civile », « une décentralisation se traduisant par un droit à la différenciation » et, cerise sur le gâteau, l’article 2 élargirait le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) institué par la contre-réforme d’A. Juppé de 1995-96 à la protection sociale, c’est-à-dire que l’ensemble de toute la protection sociale serait étatisé d’un seul coup, prélude à son démantèlement ou à sa privatisation.

Il faut ajouter les attaques contre la laïcité de l’État, la constitutionnalisation de l’état d’urgence qui devient ainsi permanent… Le gouvernement Macron-Philippe-Collomb-Pénicaud dont la légitimité est plus que contestable pourrait être contesté. Il veut aller vite en besogne pour satisfaire les exigences des capitalistes.

On pourrait également voir dans « l’affaire Benalla » une tentative de diversion au moment où le gouvernement s’apprête à se livrer à une véritable agression contre les travailleurs et la jeunesse.


1. L’Huma dimanche n°154, du 26 mars au 1er avril 2009 cité par : http://www.gauchemip.org/spip.php?article14464