Air France : le « dialogue social » remis en question par les travailleurs

Air France chemise déchirée

L’activité du transport aérien étant, par nature, une activité internationale, chaque soubresaut économique se solde par une nouvelle phase de concentration à l’échelle du monde et par un jeu de massacre qui voit les compagnies acculées à la faillite avec des milliers d’emplois détruits. C’est un des secteurs qui illustre le mieux la phrase de Marx : « la lutte des classes est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu ».

Ainsi, depuis des années, les plans se succèdent pour soumettre Air France et ses filiales aux exigences du capital financier. En 20 ans, des milliers d’emplois ont été supprimés, des secteurs entiers ont été livrés à la sous-traitance 40 % des effectifs disparaissant au passage. La précarisation et la flexibilité ont ainsi progressé. Les filiales se sont multipliées comme Hop ! ou Transavia.

L’Union Européenne procure aux capitalistes un cadre qui met les travailleurs en concurrence pour leur imposer les plus bas salaires, une protection sociale sans cesse en recul et des conditions de travail dégradées : la direction d’Air France-KLM s’en était servi récemment pour créer une filiale à bas coût, Transavia Europe.

Cette fois, le plan « Perfom 2020 » présenté par la direction prévoit 2 900 emplois en moins, sous la menace d’un « plan B » de 5 000 licenciements si les personnels et leurs organisations syndicales n’acceptent pas le « projet » des patrons : c’est le chantage. Le chantage et la division sur fond d’appel « au dialogue social » !

Ainsi, le PdG d’Air France, A. de Juniac – qui s’était illustré en mars 2015 par ses propos sur le travail des enfants et les acquis sociaux, lui qui émarge à 600 000 euros de salaire fixe par an – sortant de deux bras de fer avec les pilotes, a cherché à diviser les personnels de la compagnie.

Opposant les pilotes aux navigants commerciaux ou techniques, les navigants aux personnels au sol, les branches d’activités entre elles, il s’est appuyé sur la bureaucratie syndicale à commencer par celle du SNPL, le syndicat des pilotes. C’est là que les travailleurs d’Air France sont intervenus, toutes catégories confondues, pour frapper au cœur du dispositif voulu par les capitalistes, le gouvernement et les bureaucrates : le « dialogue social ».

Alors que l’État détient 16 % du capital d’Air France, les images du DRH et d’un autre cadre de la compagnie fuyant, chemise arrachée, ont été au centre de toutes les attentions médiatiques et gouvernementales, cherchant à présenter les travailleurs en grève comme des voyous.

Mais d’autres images ont été moins présentes, comme celles de cette hôtesse qui apostrophe les dirigeants d’Air France après que le comité central d’entreprise (CCE) eut été interrompu par l’arrivée de plusieurs dizaines d’employés : « C’est le mépris avec lequel ils [les dirigeants d’Air France] l’ont regardée qui a tout fait dégénérer », raconte un magasinier de 55 ans mis en examen pour « violences aggravées » ! (Libération.fr du 28 octobre 2015).

Ces images et cette confrontation ont porté un coup à la politique de collaboration de classe que capitalistes, gouvernement et bureaucrates appellent « dialogue social ». Nombreux, des travailleurs dans tout le pays et au-delà des frontières ont pu dire : « enfin quelqu’un a osé ! ». Enfin ! Depuis des années que les licenciements succèdent aux licenciements, les « plans de sauvetages » qui ne sauvent rien et qui ne servent que de prétextes à d’autres plans de licenciements, préludes à la fermeture pure et simple de milliers de boîtes !

Le message est clair, pour paraphraser le conventionnel Saint-Just au procès de Louis XVI : « on ne licencie pas innocemment ! »1. Pour 2900 emplois supprimés, combien de dépressions graves, de familles qui explosent, combien qui plongent dans la misère, combien de suicides ? Ça suffit ! : c’est le sentiment de ceux, nombreux, majoritaires, qui ont exprimé leur soutien aux travailleurs d’Air France injustement poursuivis suite à ce CCE mémorable.

C’est en cela que cette mobilisation pourrait bien marquer un tournant : les travailleurs ne sont pas dupes du « dialogue social ». C’est bien pourquoi, les dirigeants de la CGT confrontés à une forte pression de la base des syndiqués et même de secteurs intermédiaires, comme certaines unions départementales ou fédérations, ont renoncé à participer à la conférence sociale convoquée par le gouvernement pour les 19 et 20 octobre.

C’est bien pourquoi, également, et malgré le faible nombre d’appels à la grève, malgré le faible nombre de dépôts de préavis dans la fonction publique, malgré que tout ait été fait pour empêcher qu’une mobilisation massive se produise le 22 octobre, près de 6 000 se sont rassemblés ce jour-là aux abords de l’Assemblée Nationale, sans compter les nombreux rassemblements en province.

Une brèche a été ouverte que les bureaucrates vont tenter de colmater, ainsi P. Martinez, secrétaire général de la CGT n’en appelait-il pas à un « vrai » dialogue social lors de ce rassemblement ? Une brèche a été ouverte que les travailleurs vont chercher à élargir, car ils sont à la recherche d’une issue pour faire échouer l’offensive des capitalistes mais aussi pour gagner sur l’emploi, les salaires la protection sociale, les conditions de travail. C’est aussi la mobilisation jusqu’au bout qui pourra ouvrir une issue politique à la crise du régime, vers un gouvernement pour et par les travailleurs.

C’est pourquoi nous, le GSI-UITQI, appelons à participer à toutes les actions de soutien aux travailleurs d’Air France (pétitions, manifestations, rassemblements, grèves). Nous appelons à la plus large unité pour le retrait du plan de licenciements prévu par la direction d’Air France et pour l’abandon des poursuites contre les travailleurs !

1 « On ne règne pas innocemment. Tout roi est un tyran et un usurpateur. »