Quelle est la signification de la grève chez Renault ?

Par Mathieu
Une crise qui vient de loin
La situation du groupe français Renault est exemplaire de la phase actuelle de la crise du capitalisme qui a été précipitée par la pandémie de Covid-19, et des enjeux posés à la classe ouvrière et à ses organisations.
Ce groupe, par son histoire – il avait été nationalisé après la seconde guerre mondiale car son patron, Louis Renault, avait collaboré avec les nazis avant d’être à nouveau privatisé (l’État français en est toujours actionnaire à hauteur de 15%) –, par son poids économique – il constitue encore un des derniers bastions industriels du pays malgré les très nombreuses destructions d’emplois et délocalisations, et par son importance dans les luttes ouvrières, en particulier en 1936, en 1947-48 et en 1968, occupe une place centrale dans la situation de la lutte des classes en France.
Avant le déclenchement de la pandémie de Covid-19, cela faisait plusieurs mois que Renault était plongé dans une situation critique. L’ampleur de cette crise a pu être mesurée par les péripéties de son l’ancien PDG de l’alliance Renault-Nissan, le Franco-libanais, Carlos Ghosn, emprisonné au Japon pour abus de biens sociaux et fraude fiscale.
Ce dernier est arrivé à s’enfuir de ce pays dans l’étui d’un instrument de musique, grâce à l’intervention de barbouzes français. En attendant que les choses se tassent, Carlos Ghosn, se trouve désormais dans une des villas qu’il possède dans les environs de Beyrouth et peut compter sur la protection du gouvernement français.
Au-delà de l’histoire rocambolesque digne d’un scenario de mauvais film, ce sont des milliers de postes de travail qui sont en jeu. En effet, depuis plusieurs mois, les actionnaires du groupe prévoyaient de supprimer des milliers d’emplois, pour répondre à cette crise. Puis la pandémie de Covid-19 a été une aubaine inespérée pour la direction et les actionnaires, qui en plus ont pu bénéficier des aides de l’État et des mesures de chômage partiel.
Au mois, de mai, la direction du groupe a fait une première déclaration dans les médias annonçant plus de 15000 suppressions d’emplois dans le monde, dont plus de 4500 en France, avec la fermeture de plusieurs usines. Ces déclarations ont été confirmées et précisées au mois de juin : en France, il est prévu de supprimer 4600 emplois aussi bien dans la production que dans l’ingénierie. L’usine de Choisy-le-Roi, en région parisienne, est amenée à fermer. Plusieurs autres sites verront leur activité diminuer, dont l’usine de Flins, également en région parisienne, qui ne produira plus de véhicules.
La réaction des travailleurs
Si les capitalistes cherchent à faire payer la crise dont ils sont responsables aux travailleurs, ces derniers se mobilisent pour défendre leurs emplois. La situation de la lutte des classes en France, est littéralement explosive. Elle l’était déjà, dans la continuité des mobilisations des Gilets Jaunes et des grèves contre la destruction des retraites.
Cette situation s’est poursuivie pendant le confinement et est littéralement en train de s’embraser depuis le mois de mai : alors que le droit de grève est remis en cause, que les manifestations sont interdites, que le mouvement social est réprimé par l’appareil d’État les manifestations et les grèves se multiplient contre le racisme, dans la santé, dans l’industrie, dans le commerce etc. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le réaction des travailleurs de Renault.
À l’annonce des suppressions de postes et des fermetures d’usine, les travailleurs de plusieurs sites ont cessé le travail, débordant les appareils syndicaux. La mobilisation a payé puisque la direction a dû partiellement reculer en renonçant à fermer l’usine des Fonderies de Bretagne, dans le Morbihan. Mais le site sortira du groupe Renault.
La grève et les manifestations ont été particulièrement importantes sur le site de Maubeuge. Plus de 10000 personnes ont manifesté dans cette ville, contraignant certains élus locaux et régionaux à défiler à leurs côtés alors que la manifestation n’était pas autorisée. Puis le site de Choisy-le-Roi est parti en grève, en dehors des appels des syndicats pour s’opposer à la fermeture du site. Des débrayages ont aussi eu lieu à Flins ou à Dieppe, pour ne citer que quelques exemples.
Les obstacles bureaucratiques
La volonté des travailleurs est bien là. Mais que manque-t-il pour que la lutte soit victorieuse ? Il faut lever les obstacles qui se dressent sur la mobilisation, et ils sont nombreux. Il y a bien sûr la violence des attaques de la part de la direction. Mais il y a aussi la responsabilité des directions des organisations syndicales dont le rôle devrait être d’organiser la grève, jusqu’au retrait du plan de licenciement imposé par la direction.
Or, ces organisations, malgré leurs beaux discours, non seulement n’ont rien fait pour centraliser la grève et construire un plan de bataille, mais elles ont créé des contre-feux, elles ont laissé isolés les travailleurs qui s’étaient mobilisés les premiers.
Rappelons qu’historiquement, Renault a été un bastion de la CGT. L’actuel secrétaire général de cette organisation, P. Martinez, est issu de chez Renault. Or, la CGT a perdu sa première place depuis plusieurs années déjà, au profit de la CFE-CGC (syndicat des cadres).
Cette situation s’explique par le fait que la direction de la CGT a mené une politique de « dialogue social » pour accompagner les décisions de la direction de l’entreprise, qui se sont notamment traduites par des fermetures de sites et des licenciements. Une large partie des travailleurs s’est donc détournée de la CGT.
D’autant plus qu’en conséquence de cette politique de « dialogue social » les licenciements, de même que la sous-traitance et le recours à l’intérim, ont surtout touché les ouvriers des sites de production et que « mécaniquement » le poids des techniciens, techniciens supérieurs et cadres a augmenté.
Les organisations dites d’extrême-gauche, portent, elles aussi, une responsabilité dans les obstacles qui existent pour la mobilisation des travailleurs chez Renault, et plus largement dans le secteur automobile.
Ainsi, P. Poutou, double candidat du NPA à l’élection présidentielle en 2012 et 2017, membre de la CGT, ancien ouvrier de l’usine Ford Blanquefort, a participé aux négociations qui ont accompagné à la fermeture de l’usine. Idem pour Jean-Pierre Mercier, membre de la direction de LO et de la CGT PSA, lors de la fermeture de l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois.
La victoire est possible
La question qui est posée chez Renault aujourd’hui est bien la mobilisation indépendante des travailleurs pour la construction de la grève jusqu’à la satisfaction des revendications.
Il n’y a rien à négocier :
Aucun licenciement, aucune fermeture d’usine !
Nationalisation de Renault sans indemnité ni rachat, sous contrôle ouvrier !
Une telle mobilisation pourrait servir de point d’appui pour le secteur automobile, et plus largement pour l’industrie et tous les secteurs qui sont menacés par des licenciements gigantesques.
C’est bien par leur mobilisation indépendante sur le terrain de la lutte des classes, c’est-à-dire par la grève générale, que les travailleurs empêcheront les capitalistes de leur faire payer leur crise.