États-Unis : Quelle perspective pour les travailleurs ?

Le 17 juin 2020
Par J.-Louis
Il est illusoire de penser que les affrontements en cours aux USA sont dus uniquement à la proximité de l’élection présidentielle prévue pour le 3 novembre prochain, tant les enjeux sont décisifs. Car la mort de George Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis, dans l’État du Minnesota, a agi non comme un révélateur mais plutôt comme le catalyseur des tensions qui ont été grandissantes des dernières décennies aux USA.
Avant tout, un constat s’impose : la principale puissance impérialiste est malade. Elle traverse une crise économique, sociale et politique qui s’aggrave depuis des années et qui pourrait avoir atteint un point de non-retour. Cette crise s’insère dans celle du mode de production capitaliste et l’un de ses symptômes est l’aiguisement des affrontements inter-impérialistes.

En effet, il faut le répéter, la chute du Mur de Berlin a signifié la fin du stalinisme et non celle du communisme comme de nombreux « oracles » l’ont, alors, annoncé bruyamment. Elle n’a pas signifié non plus la victoire du capitalisme ni « la fin de l’histoire ». De très nombreux événements qui se sont produits dans le monde depuis l’ont abondamment démontré.
En entrant dans son stade suprême, l’impérialisme, au tournant du 19ème et du 20ème siècles, le mode de production capitaliste est devenu un frein absolu au développement des forces productives de l’humanité. Le capitalisme a achevé sa mission historique en ayant abattu l’ordre féodal et son mode de production basé sur le servage.
Depuis, il ne survit plus qu’en détruisant des forces productives de plus en plus nombreuses, à commencer par l’être humain, et en s’attaquant aux conquêtes démocratiques que la bourgeoisie, la classe des capitalistes, avait imposées dans sa lutte contre le monde féodal.
Comment la première puissance impérialiste pourrait-elle être un havre de paix, alors qu’elle est la principale source de chaos capitaliste ? La fuite en avant dans l’endettement public et privé, la promotion d’une économie parasitaire dont le moteur est le capital fictif font qu’elle est le boulet de l’économie mondiale.
Attention : cela n’exonère pas les autres puissances ni ne fait de l’impérialisme US une sorte de « super impérialisme », simplement son poids dans l’ensemble lui donne une place particulière en tant que forteresse du capitalisme pourrissant.
Or, le mouvement de révolutions démocratiques qui est parti de Tunisie en 2010-2011 et parcours le monde depuis, atteint maintenant la forteresse.
Encore une fois la question de « la dignité » a été l’amorce de la mobilisation. Les travailleurs, les jeunes, les couches populaires de la société font face à l’arbitraire, aux vexations, à la brutalité du pouvoir judiciaire et à la violence de la police, violence à laquelle ils nient toute légitimité, sur fond de hausse vertigineuse des inégalités et d’un chômage de masse.

La réalité d’une représentation politique historiquement ancrée très à droite, l’absence d’un parti ouvrier, un syndicalisme bureaucratisé appelant le plus souvent à voter pour les candidats « démocrates » mais parfois aussi pour les « républicains », tout cela, avec comme corollaire une abstention massive aux élections, forme l’arrière-plan de cette mobilisation.
N’oublions pas que l’esclavage n’y a été aboli qu’en 1865, abolition suivie d’une généralisation des lois ségrégationnistes, puis d’une monté en force d’une politique eugéniste en réalité tournée contre les pauvres, qui a pu faire penser que le sud avait perdu la guerre civile, la guerre de sécession, militairement, mais l’avait gagné politiquement ?
En 1913, l’élection du sudiste raciste W. Wilson, un « Southern Democrat1 », apologue du ku kux klan et artisan de la mise en place d’un pouvoir présidentiel fort pendant ses deux mandats peut le confirmer. Il faudra attendre 1965 pour voir les lois ségrégationnistes abolies.
Mais dans les faits, la police, très décentralisée, brutale sous prétexte qu’elle peut avoir à faire face à des individus armés, légalement ou non, qui fait en moyenne 3 morts par jour, plus de 1 000 morts par an, est en réalité le bras armé d’une minorité blanche qui exècre les Noirs, les Hispaniques, bref tout ce qui n’est pas « WASP2 ».
Trump est un capitaliste, représentant des capitalistes, qui est parvenu au pouvoir en mobilisant ces derniers, mais aussi en s’appuyant sur les « petits blancs » menacé par le déclassement, frappés par la crise qui a éclaté en 2007, cette soi-disant « classe moyenne » qui est censée réaliser le « rêve américain », mais qui se retrouve être en proie à un cauchemar.
Ceux-ci sont désespérés et, en l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire, en 2016 ils se sont tournés vers celui qui gueulait le plus fort. Sauf que le vent est en train de tourner et la solution ne viendrait-elle pas des Noirs ?
L’épidémie de covid-19 frappe les travailleurs, plus que les autres classes, car ils sont employés dans des secteurs indispensables dans cette situation et donc plus exposés au risque de contamination ; ils ont les plus mauvaises conditions de logement et d’hygiène, un accès aux soins plus difficiles et, parmi les travailleurs, les Noirs, les Amérindiens et les immigrés, surtout les clandestins, sont dans une situation encore plus dramatique.
C’est pourquoi la question de la dignité a d’emblée rassemblé au-delà des Noirs très mobilisé et pour cause ! La jeunesse s’est saisie de ce combat qui a débordé largement des USA. C’est aussi pourquoi se posent aussi là-bas maintenant des revendications sociales et politiques : le logement, l’emploi, les salaires, la sécurité sociale, le rôle et l’existence de la police, la mobilisation enfle tous les jours et met à l’épreuve les vieilles représentations politiques bourgeoises.
Les républicains sont divisés entre ceux, à l’instar de Trump, qui rêvent d’en découdre et pour qui peu importe le nombre de morts par covid-19 pourvu que les pauvres, surtout les Noirs et les hispaniques, soient les seules victimes et que leurs profits ne soient pas entamés par la crise économique.
Ceux-là se prennent à rêver que leur soutiens étant armés jusqu’ aux dents, ils pourraient rapidement l’emporter dans une nouvelle guerre civile face à une « gauche » honnie et… désarmée ? Il leur resterait alors à imposer leurs vues au monde entier par la force…
D’autres s’inquiètent de la rhétorique guerrière des premiers et de l’action des provocateurs qui les soutiennent cherchant l’affrontement dans les manifestations qui se sont multipliés suite à la mort de G. Floyd. Ce qui explique la réaction des militaires quand Trump a déclaré vouloir faire appel à eux.
En effet, aux USA plus qu’ailleurs, même une solution « simplement » bonapartiste en passerait par une guerre civile, mais cette « solution » provoquerait probablement la défection de secteurs favorables à Trump, opposés à tout renforcement du pouvoir fédéral.
Ces « républicains » qui ne sont pourtant pas des enfants-de-cœur, réactionnaires avérés, en accord avec Trump sur de nombreux thèmes, ont commencé à prendre leurs distances avec ce dernier dont les excès et les outrances risquent surtout d’ouvrir un boulevard à leurs adversaires politiques : les « démocrates » certes, mais pas seulement. Et si cette crise favorisait l’émergence d’un parti ouvrier indépendant qui échappe au bipartisme bourgeois ?
Car les « démocrates » de leur côté sont divisés. La majorité recherche un statu-quo avec les « républicains » dit « modérés » autour de cette sacro-sainte constitution à laquelle ils s’accrochent sans voir qu’un texte rédigé au 18ème siècle, à l’époque de la libre entreprise et de la libre concurrence, ne correspond plus à un monde qui en est l’antithèse, dominé par des monopoles qui imposent une concurrence acharnée entre leurs filiales et les employés de celles-ci.
Une minorité « à gauche » cherchent à influencer le parti « démocrate » dans une sens beaucoup plus social qu’il ne l’a jamais été. Seulement voilà, le parti démocrate est un parti bourgeois ! Aussi cette minorité est dans une impasse et c’est B. Sanders qui l’y a menée, en refusant de rompre avec le parti démocrate pour construire une alternative ouvrière et populaire, un parti des travailleurs.
Le pire c’est que B. Sanders a renoncé le 8 avril à obtenir l’investiture « démocrate » en appelant ses partisans à se battre pour « la justice économique et sociale », c’est-à-dire qu’il les a laissé sans perspective en termes d’organisation que… le parti démocrate. Or, celui-ci fait partie du problème, pas de la solution.
La solution passe maintenant par la poursuite, l’amplification, l’approfondissement de la mobilisation en cours ; par la jonction entre tous les secteurs opprimés de la société : les appels venant des syndicats sont déterminants car ils posent la possibilité d’un cadre unificateur de la lutte, mais ils sont un premier pas.
Oui, tous les syndicats doivent s’engager dans la lutte, c’est-à-dire s’ouvrir à l’ensemble des travailleurs, rompre avec la bureaucratie de l’AFL-CIO et de CFW, rompre avec le parti démocrate et, cela va sans dire, le parti républicain.
Mais nous le répétons encore une fois, si la défense de l’indépendance de la classe ouvrière passe par des syndicats indépendant de la bourgeoisie et de l’État ; elle passe surtout par la construction d’un outils pour la conquête du pouvoir : la fondation d’un parti ouvrier, appuyé sur la mobilisation et sur les syndicats qui soutiennent la mobilisation, ouvrirait une perspective concrète pour l’ensemble des opprimés.
Black Lives Mater, Worker Lives Mater !
Vive la lutte des travailleurs états-uniens !
1. Ce terme désigne les élus conservateurs du parti démocrate dans les États confédéré.
2. White Anglo-Saxon and Protestant – Blanc anglo-saxon et protestant