Témoignage d’ une enseignante en collège : retour sur la Grève du 10 novembre

Des enseignants grévistes en Lorraine le 10 novembre 2020
L’Internationaliste s’est entretenu avec Alexandra*, enseignante en collège dans les Yvelines. Elle revient sur les conditions de cette rentrée déplorable et la grève qui s’en est suivie.
L’Internationaliste : Qu’est-ce qui t’as décidée à te mettre en grève mardi 10 novembre 2020 ?

Alexandra : C’est une réaction immédiate face aux conditions intenables de reprise imposant aux enseignants, aux assistants comme aux élèves des mesures inappropriées et absurdes :

– port d’un masque différent toutes les 4 heures, mais sans en fournir aux familles, et avec retardement aux enseignants, en espérant qu’ils ne soient pas toxiques cette fois-ci ;

– espacement des élèves d’un mètre « lorsque cela est possible », en sachant pertinemment qu’en classe entière, ça ne l’est pas, au vu des effectifs toujours surchargés, et donc faire le choix de laisser les élèves coude-à-coude ;

– demande aux parents de prendre la température de leurs enfants chaque matin mais empêcher le collège de le faire à l’entrée, au cas où un cas serait découvert et mettrait à mal l’entreprise économique capitaliste à sauver.

Le minimum aurait été de reporter la reprise scolaire d’une semaine afin de garantir, dès le retour des élèves, les conditions sanitaires renforcées, au lieu de ne les appliquer qu’à retardement, une semaine après avoir bien laissé circuler le virus dans l’établissement. N’oublions pas que certains élèves se retrouvent orphelins suite aux dégâts du covid sur leurs parents.

L’Internationaliste : Jean Castex a osé affirmer que les enseignants étaient particulièrement « choyés » par le gouvernement…

Alexandra : La bonne blague ! Les réunions d’échange et de concertation prévues le jour de la rentrée par le ministre ont été annulées ! Selon le ministère, ni la covid, ni la mort de Samuel Paty ne doivent entraver la soif d’instruction de nos jeunes. Instruction susceptible de mener à la mort lorsqu’elle cherche l’éveil des consciences.

En limitant l’hommage à notre collègue à une minute de silence et une lecture improvisée ayant peu de sens pour nos élèves, le gouvernement nous balance une fois de plus son mépris à la figure et contribue à la banalisation de la barbarie. Ce n’est pas une minute que je réclame, c’est au moins une journée entière de fermeture symbolique des établissements scolaires, en plus de l’heure d’éducation civique pour en expliquer les causes aux élèves.

Pour le ministère, dialoguer, éduquer à la laïcité, développer la pensée, celle qui ferait de nos élèves de futurs citoyens capables de recul critique, d’analyse, n’est pas prioritaire : il faut d’abord faire tourner l’enfer, celui qui, à la manière de la Métropolis de Fritz Lang, avale les travailleurs et les broie pour une poignée de dollars.

L’Internationaliste : Quelles sont les revendications portées par les grévistes de ton collège ?

Alexandra : Enseigner en période de covid, oui, avec plaisir, mais en demi-classes, avec des masques pour chaque élève fournis à l’entrée du collège.

D’autre part, peut-on encore enseigner sereinement suite à la décapitation terroriste de Samuel, qui a dû s’excuser d’avoir offensé ses élèves en essayant de préserver leur sensibilité tout en défendant la liberté d’expression ? Était-ce là la meilleur manière de le protéger ? Peut-on encore faire confiance à notre hiérarchie ?

Voilà un aperçu des nombreuses raisons, non exhaustives, qui m’ont poussée à faire grève et à entraîner mes collègues, principalement des jeunes non-syndiqués, eux aussi révoltés par cette situation morbide.

Je souhaites, de plus, soutenir la démarche de tous ceux qui ont exercé leur droit de retrait ou de grève tout au long de la semaine de la rentrée, et grâce à la mobilisation desquels les lycées ont pu obtenir des demi-groupes et l’annulation des E3C.

*Le nom a été modifié à sa demande